Mushoku Tensei (LN) – Tome 10 – Chapitre 11

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Chapitre 11 : Nostalgie et frustration

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Chapitre 11 : Nostalgie et frustration

Partie 1

J’étais actuellement assis sur l’un des canapés du salon. Ruijerd était assis en face de moi. Sylphie avait guidé Aisha et Norn vers la salle de bain.

Sylphie et moi avions tous les deux dessoûlé. L’odeur de l’alcool devait encore persister dans notre haleine, mais la magie de désintoxication avait au moins permis d’éliminer l’ivresse.

En regardant le visage de Ruijerd, éclairé par le feu crépitant, je m’étais souvenu de notre première rencontre. D’autres souvenirs avaient afflué : la fois où nous avions voyagé avec Éris, juste tous les trois, et d’autres choses.

« Ça fait vraiment longtemps », avais-je dit.

« Oui. »

Ruijerd avait également rétréci ses yeux et relevé les bords de sa bouche. Exactement comme dans mes souvenirs.

« Tout d’abord, je suppose que je dois te remercier d’avoir escorté mes petites sœurs jusqu’ici. »

« Pas besoin de me remercier. Protéger les enfants est tout à fait naturel. »

C’est vrai, cela lui ressemblait bien. Je me souvenais l’avoir traité de lolicon en plaisantant lorsque nous voyagions ensemble. Pourtant, j’avais pourtant été surpris de voir que la personne mentionnée par Paul dans sa lettre était Ruijerd. J’avais envisagé la possibilité que ce soit Ghislaine, mais étant donné que la tâche consistait à escorter des enfants, Ruijerd était le meilleur homme pour ce travail. Tellement, en fait, que je l’aurais engagé pour être les gardes du corps d’Aisha et de Norn à vie, si cela avait été possible.

En tout cas, cela faisait longtemps que nous n’avions pas parlé tous les deux. De quoi avions-nous même parlé, à l’époque ? Ruijerd était calme, pas du genre à faire la conversation.

« Au fait, qu’est-il arrivé à Éris ? » demanda Ruijerd, sans détour.

C’était une question à laquelle je n’avais pas vraiment envie de répondre, mais il méritait de savoir.

« Beaucoup de choses. Laisse-moi commencer par le début. »

Je lui avais raconté ce qui s’était passé après notre séparation devant le camp de réfugiés. Comment Éris et moi avions couché ensemble. Comment, immédiatement après, elle avait disparu et comment j’étais tombé dans les profondeurs du désespoir. Comment je n’avais pas pu m’en remettre. Comment j’avais passé les deux années qui avaient suivi à chercher ma mère. Comment j’avais rencontré Elinalise et entendu parler de ce qui se passait. Comment j’avais suivi la recommandation de l’Homme-Dieu et m’étais inscrit dans cette école. Comment cela m’avait aussi conduit à retrouver Sylphie et comment elle m’avait aidé à me rétablir. Et puis notre mariage.

« Je vois. »

Ruijerd écouta en silence pendant tout ce temps sans dire un mot. Finalement, il ajouta ceci : « Ça arrive souvent. »

« Ça arrive souvent ? », avais-je répété.

Il avait simplement hoché la tête.

« C’est un point de vue dans lequel les guerriers s’enlisent souvent. Je suis sûr qu’Éris ne te déteste pas. »

« Mais elle a dit que nous deux n’étions pas “équilibrés”. »

« Je ne sais pas si elle disait cela de manière littérale, ou si tu as juste mal compris son sens. »

« Mal compris ? »

« Oui. Éris n’a jamais été très douée avec les mots. »

Ruijerd devait le savoir, il ne l’était pas non plus.

« En tout cas, elle t’aimait bien quand on voyageait ensemble. Si tu as l’occasion de la revoir, garde la tête froide et parles-en avec elle. »

Est-ce que j’avais tout faux ? Quand elle disait que nous n’étions pas équilibrés, voulait-elle simplement dire qu’elle n’était pas à mon niveau ? Elle était partie pour devenir plus forte, pour atteindre cet équilibre et revenir ? Dans ce cas, peut-être qu’elle voulait dire « attends-moi ».

Même dans ce cas, il était trop tard pour le savoir maintenant. Peu importe ce qu’elle voulait dire, j’avais quand même passé trois ans à souffrir. Trois ans pendant lesquels je n’avais pas entendu un mot de sa part. La personne qui m’avait finalement sauvé était Sylphie, pas Éris. Qu’est-ce que j’étais censé faire maintenant, mettre Sylphie de côté et me réconcilier avec Éris ? C’était impossible.

Et puis, honnêtement, j’étais encore un peu terrifié à l’idée de rencontrer Éris à nouveau. Ce n’est pas que je n’avais pas confiance en ce que disait Ruijerd, mais il était possible qu’elle en ait vraiment marre de moi. Ce serait un véritable coup dur pour moi si je l’approchais avec l’intention de me réconcilier et qu’elle me frappe et refuse de me regarder dans les yeux.

Arrêtons d’y penser, me suis-je dit. Quelle que soit la vérité, je ne pouvais pas changer le passé. Ressasser le passé ne m’aiderait pas.

J’avais donc changé de sujet.

« Qu’as-tu fait pendant tout ce temps, Monsieur Ruijerd ? »

« Ah, oui. »

Il avait l’air d’avoir encore quelque chose à dire, mais il avait quand même hoché la tête.

« Après m’être séparé de vous deux, je me suis dirigé vers la zone forestière de la région sud. »

Apparemment, Ruijerd avait deviné que la Tribu des Superds qui se cachait dans le Continent Central se trouvait dans une forêt. Il s’était rendu dans la forêt dense au sud des montagnes du Roi Dragon, où il avait mené une recherche exhaustive pendant deux ans. Il n’avait finalement trouvé aucune trace des Superds, mais il avait trouvé plusieurs objets appartenant à des personnes supposées être mortes pendant l’incident de téléportation. Il les avait livrés à la ville la plus proche.

Ses recherches dans la forêt n’ayant rien donné, Ruijerd se dirigea vers le sud le long de la côte et arriva à Port Est. Il avait prévu d’y prendre les informations en provenance de Millis, puis de se diriger vers le nord pour fouiller la zone de conflit. Mais, par chance, il était tombé sur Paul. Après cela, tout s’était passé exactement comme Paul l’avait écrit dans sa lettre. Lorsque Paul hésita à renvoyer ses deux filles, Ruijerd se porta volontaire pour l’escorter.

« Oh, j’ai aussi rencontré ton maître. »

« Maître Roxy ? »

Ruijerd avait un sourire crispé : « Oui. Elle était un peu différente de ta description. »

« Vraiment ? Dans quel sens ? »

« À la seconde où j’ai dit mon nom et qu’elle a vu la gemme sur mon front, elle devint complètement terrifiée. »

En y réfléchissant, c’était Roxy qui m’avait dit que la tribu des Superds était des tueurs terrifiants. En tant que membre des Migurd, qui vivaient dans la crainte des Superds, sa réaction était probablement inévitable. Mais j’aurais aimé le voir : Roxy tremblant de terreur à la vue de Ruijerd.

« Au fait, j’ai entendu dire que tu as voyagé aux côtés de Mlle Ginger jusqu’ici ? »

« Oui. On est arrivé dans la soirée et on est allé à l’université, mais on ne t’a pas trouvé. »

Ils pensaient que je vivais dans les dortoirs. Bien sûr, j’étais déjà parti au pub à ce moment-là, et je suppose que toutes les personnes à qui ils avaient demandé ne savaient où j’étais allé. Ils avaient donc demandé mon adresse à la place. Pour être sûrs de ne pas me manquer, ils étaient partis tous les trois à la recherche de ma maison, tandis que Ginger s’était séparé pour couvrir plus de terrain. Cependant, ils s’étaient perdus en chemin, soit parce qu’Aisha ou Norn s’étaient trompées de rue, soit parce que la personne qui leur avait expliqué l’emplacement de la maison s’était trompée. Alors qu’ils erraient dans la ville, Ruijerd avait relevé mes empreintes de pas et les avait suivies jusqu’à notre maison.

« Voilà ce qui s’est passé. Je dois te transmettre ma gratitude. Merci. », avais-je dit

« Tu n’as pas besoin de me remercier. »

Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire à ses mots. Une de mes plus grandes fiertés était d’être reconnu comme un ami par cet homme.

« En tout cas, tu as fait vite. », avais-je dit.

La lettre n’était arrivée que le mois dernier. J’avais pensé qu’il leur faudrait deux ou trois mois pour arriver ici, au plus tôt. 

« Ta petite sœur était impatiente. »

« Laquelle ? »

« Aisha. C’est grâce à elle que nous avons pu voyager si vite. »

D’après Ruijerd, Aisha avait proposé qu’ils accompagnent une caravane de marchands pour pouvoir aussi voyager de nuit. De telles caravanes n’acceptaient généralement pas d’étrangers, alors Aisha leur avait offert les services de Ruijerd et de Ginger comme gardes en échange de les laisser partir avec Norn. C’était un bon accord, bien que les négociations n’aient pas été faciles.

Chaque fois que leur caravane actuelle atteignait sa destination, ils se rendaient dans la ville la plus proche pour en chercher une autre. C’était grâce à ce changement rapide de caravanes qu’ils purent voyager si efficacement. Ils recueillaient des informations sur les horaires et les emplacements des caravanes, parfois même en revenant sur leurs pas jusqu’à une ville précédente pour monter dans une caravane qui leur convenait mieux. Lorsque le trio avait demandé à Aisha pourquoi ils devaient faire demi-tour, elle répondit : « Parce que ce chemin est plus rapide. » Incroyable.

« Ça a sûrement dû être dur pour toi ? Si tu te déplaçais le jour et que tu faisais office de garde du corps la nuit, ça veut dire que tu devais rester éveillée tout le temps. »

« Ce n’était pas le cas. Je suis habitué à voyager continuellement sans repos, et ce depuis un certain temps maintenant. Mais… »

« Mais ? »

« C’était la première fois depuis longtemps que j’avais l’impression qu’on me donnait des ordres. »

Il fit un mince sourire en disant cela. Peut-être se souvenait-il de l’époque de la guerre de Laplace.

Aisha, cette petite peste.

« Eh bien, je ne sais pas vraiment quoi dire, mais il semble que ma petite sœur t’aies causé beaucoup de… »

« C’est juste une histoire drôle. »

Comme d’habitude, Ruijerd était doux quand il s’agissait d’enfants. Mais même si cela ne le dérangeait pas, nous ne pouvions pas élever Aisha pour qu’elle soit le genre d’individu qui donne des ordres aux gens. Je devrais lui dire ce que je pense plus tard.

« Mais elle dormait comme un loir pendant que tu travaillais sans arrêt, n’est-ce pas ? », avais-je argumenté.

« Elle ne dormait pas. Elle calculait constamment notre itinéraire, planifiant notre voyage de la manière la plus efficace possible. »

Hm, d’accord. Donc elle n’avait pas fait faire tout le travail à Ruijerd. Si c’était le cas, alors je ne pouvais pas la blâmer.

« Et pourtant c’est encore une enfant », ajouta-t-il.

Le plan sans pause d’Aisha n’avait apparemment pas tenu compte de leur endurance. Au milieu du voyage, elle et Norn s’étaient effondrées d’épuisement. Selon le programme interne d’Aisha, elle avait prévu d’arriver ici avant l’hiver, lorsque le temps rendrait le voyage difficile. Ce fut la raison pour laquelle elles étaient arrivées plus vite que la lettre ne le suggérait.

« Mlle Ginger a dû passer un mauvais moment elle aussi. Comment était-elle ? »

« Elle était en fait assez contente de notre rythme. Elle a dit qu’elle ne voulait rien de plus que de voir Sa Majesté aussi vite que possible. »

On dirait qu’il y avait beaucoup de gens dans ce monde qui avaient des muscles à la place du cerveau. Ginger était certainement une personne loyale. Elle avait probablement déjà retrouvé Zanoba. Comment allait-elle réagir en voyant Julie ? J’aurais aimé être là pour le voir.

« Elle a apparemment l’intention de retourner au service du prince », confirma Ruijerd.

« Je vois. Au fait, combien de temps comptes-tu rester ici ? », avais-je demandé nonchalamment.

Je supposais que la réponse serait environ une semaine. Je n’aurais pas besoin de beaucoup de temps pour le présenter à tous mes amis. J’étais sûr que Zanoba serait ravi. Linia et Pursena auraient probablement aussi leur mot à dire. Et qui sait ce que Cliff en penserait ? Ruijerd et Badigadi se connaissaient peut-être déjà, en fait.

Ces pensées s’étaient arrêtées net lorsque j’avais entendu la réponse de Ruijerd : « Je pars demain. »

« C’est plutôt… rapide. »

« J’ai entendu dire que quelqu’un avait vu un diable au fond des bois à l’est. J’ai l’intention de vérifier. »

Ruijerd avait déjà flairé son prochain arrêt. Je pensais qu’il pouvait se permettre de rester un peu plus longtemps, mais ce serait insensible de ma part de le garder.

« En plus. Je n’ai pas l’intention de te gêner. », avait-il dit

« Bien sûr que non. Tu ne te mettras jamais en travers de mon chemin. »

Je ne le traiterais jamais comme une nuisance.

« C’est aussi un peu… difficile d’être ici. »

Il y avait de la solitude dans sa voix. Le fait qu’Éris et moi ne soyons pas ensemble était peut-être choquant pour lui. Je ne savais pas exactement comment Ruijerd se sentait, mais si j’étais à sa place, je pourrais aussi trouver un peu difficile de me voir me blottir si amoureusement contre Sylphie.

« Je suppose que je ne peux pas t’en vouloir pour ça. »

J’avais l’impression qu’une faille s’était formée dans notre amitié. Peut-être qu’Éris était la fondation qui nous maintenait ensemble.

« Rudeus. »

J’avais levé la tête quand il a prononcé mon nom. Apparemment, j’avais détourné les yeux à un moment donné. Ruijerd m’avait adressé un mince sourire.

« Ne fais pas cette tête. Je reviendrai. »

C’était tout ce que je pouvais faire pour forcer un sourire en retour. Je ne regrettais pas le fait d’avoir épousé Sylphie. Cependant, j’avais l’impression d’avoir fait une erreur.

« Si je rencontre Éris, je verrai ce qu’elle a à dire. »

« Je t’en prie », avais-je répondu, en le regardant droit dans les yeux. J’avais trouvé une douce lumière qui brûlait en eux.

Peu après, Sylphie était sortie du bain. Norn s’était apparemment endormie au milieu du bain, tandis qu’Aisha avait été assez turbulente dans l’eau, mais s’était effondrée dans le sommeil dès qu’elle en fut sortie. Tel était l’effet relaxant d’un bain. L’eau chaude faisait des merveilles pour un corps épuisé.

« Merci d’avoir fait tout ça. »

« Aisha semblait se souvenir de moi. Elle a tout de suite deviné qui j’étais. C’était tout à fait différent de quelqu’un d’autre que nous connaissons tous les deux. »

« Tes cheveux sont plus longs, tu ne portes pas de lunettes de soleil, et tu n’es pas habillé en garçon, donc ça ne compte pas. »

« Mais Norn ne semblait pas se souvenir de moi. »

« C’est rare qu’un enfant de trois ou quatre ans se souvienne des autres enfants du quartier. »

« Je suppose que oui. »

Sylphie avait mis les filles en pyjama et les avait installées dans le même lit. Parler avec elles devra attendre jusqu’à demain.

« Um, c’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Sylphiette Greyrat. »

« Oui. Je m’appelle Ruijerd Superdia. »

***

Partie 2

Sylphie et Ruijerd s’étaient maladroitement serré la main. Ils avaient tous les deux souffert de leurs cheveux verts dans le passé, bien qu’aucun d’entre eux ne porte plus cette couleur. Ruijerd les avait tous rasés, tandis que ceux de Sylphie étaient devenus blancs lors de l’incident de téléportation.

« Umm, Monsieur Ruijerd, que préférez-vous en termes de chambre ? »

« Tout me convient. »

« Rudy, on lui fait utiliser la grande chambre ? C’est un invité important, non ? »

Je ne pensais pas que Ruijerd serait particulièrement préoccupé par la taille de la chambre. D’ailleurs, il n’utiliserait pas le lit, de toute façon.

« Dors où tu veux. Considère notre maison comme la tienne. »

« Oui, je vais faire ça. Bon, je vais dormir. »

Ruijerd finit de parler, puis se leva.

« Très bien, bonne nuit. »

Sylphie et moi étions restés là, raides, à écouter ses déplacements dans la maison. Apparemment, il était entré dans la chambre où dormaient les enfants. Cet enfoiré de lolicon ! Non, je plaisantais. Quand on voyageait ensemble, il ne nous quittait jamais des yeux, même quand on dormait. C’était de cette manière qu’il se comportait. De plus, il nous laissait entendre ses pas exprès. S’il préparait quelque chose de louche, il les aurait fait taire et se serait déplacé furtivement.

« Est-ce que j’ai fait quelque chose qui l’a offensé ? », demanda Sylphie avec anxiété.

Ruijerd avait été un peu brusque. Il semblait avoir des sentiments contradictoires à propos de mon mariage avec Sylphie.

« Non, tu n’as rien fait de mal. Il met un peu de temps à s’habituer aux gens qu’il vient de rencontrer, c’est tout. »

« Si tu es sûr que ce n’est que ça. »

Sylphie avait un air légèrement blessé.

« On va se coucher, d’accord ? »

« OK. »

J’avais sauté le dîner ce soir-là, mais je n’avais même pas faim. Oh, j’aurais au moins dû donner à Ruijerd quelque chose à grignoter, avais-je pensé en éteignant la cheminée et en vérifiant la serrure de la porte d’entrée. Nous avions déjà le système de sécurité le plus utile de la maison, mais je voulais quand même être en sécurité.

Après avoir éteint les lumières, Sylphie et moi étions montés ensemble au deuxième étage. Puis nous nous étions glissés dans le lit.

Là, Sylphie a dit : « On va, hum, sauter la journée, ok ? »

« Huh ? Oh, oui, bien sûr. »

On n’avait pas fait l’amour cette nuit-là. C’était la première fois qu’on n’avait rien fait pour une raison autre que ses règles.

◇ ◇ ◇

Le lendemain matin, je m’étais réveillé comme à l’accoutumée. Sylphie était toujours endormie. D’habitude, elle était roulée en boule, utilisant mon bras comme oreiller, mais aujourd’hui, elle utilisait son propre oreiller et avait un air tendu. D’habitude, l’affection que je lui portais venait spontanément, accompagnée d’une pointe de désir sexuel, et je tendais la main pour toucher sa poitrine. Puis, alors que je tenais cette source de perfection dans le creux de ma main, une vague de bonheur m’envahissait.

Mais je n’avais pas ressenti cette sensation aujourd’hui. Au lieu de cela, je m’étais senti mal dans ma peau. Ce n’était pas un bon jour pour mon dragon naissant. J’aurais dû me réjouir de la présence de Ruijerd, mais j’avais l’impression qu’Éris me pesait vraiment. Je me sentais sombre et agité.

Même si je ne me sentais pas très motivé, j’avais décidé de commencer mon entraînement quotidien. J’étais sûr que cinq minutes — non, dix minutes — d’exercice me remettraient d’aplomb. Avec cette pensée en tête, j’étais sorti.

Une scène effrayante m’attendait.

Quelqu’un d’autre se tenait déjà devant notre entrée. Deux figures imposantes, en fait : un guerrier chauve, un homme qui avait rasé ses cheveux afin de cacher leur teinte verte. Il ne portait aucun des vêtements arctiques courants dans la région, mais était habillé en civil et portait une lance. C’était Ruijerd.

Puis il y avait l’autre homme. Il avait un corps large et musclé, une peau aussi noire que la poix, et des cheveux violets. Badigadi avait ses six bras croisés sur sa poitrine, dégageant une aura immensément imposante alors qu’il se tenait devant Ruijerd.

Le froid dans l’air était intense. Volatile. Si quelqu’un allumait une allumette, elle pourrait exploser.

Badigadi ne souriait pas, ce qui était rare. En fait, il ne montrait aucune expression. Ruijerd me tournait le dos, je ne pouvais donc pas voir son visage.

Cela signifiait-il donc qu’ils se connaissaient ? Ils étaient tous deux en vie depuis la guerre de Laplace : l’un était capitaine de la garde impériale de Laplace, l’autre faisait partie de la faction modérée du camp opposé. Ruijerd méprisait actuellement Laplace de tout son cœur, mais à l’époque, leurs circonstances avaient probablement été bien différentes.

« Hm. »

Badigadi m’avait jeté un regard. Puis il regarda Ruijerd une fois de plus.

« C’est donc ça. »

Il hocha la tête, ayant apparemment satisfait sa curiosité. Puis, sans rien dire de plus, il tourna les talons. La neige crissait sous ses pieds alors qu’il disparaissait au loin.

Ruijerd m’avait regardé en silence par-dessus son épaule. Il avait l’air un peu inquiet. Il était rare de le voir en proie à des sueurs froides.

« S’est-il passé quelque chose entre toi et le roi Badi ? »

« Il y a longtemps. »

Je pouvais déduire le reste de sa courte réponse. J’avais entendu dire que la folie de la tribu des Superds les avait conduits à attaquer tous ceux qui croisaient leur chemin, qu’ils soient amis ou ennemis, et cela devait inclure certains des gens de Badigadi. Et même s’il ne s’était pas engagé à régner, il restait un roi.

Je m’étais demandé comment était leur relation après la guerre ? Je ne pouvais pas imaginer quelqu’un d’aussi optimiste que Badigadi cherchant à se venger des Superds. Au contraire, il avait probablement défendu les citoyens impuissants que les Superds avaient blessés. Même si Laplace était à l’origine des tendances destructrices des Superds, Ruijerd avait quand même tué des gens, et Badigadi s’était vengé. J’étais sûr que c’était ça.

Non, attendez. Il était possible que Badigadi ne sache pas comment ou pourquoi ce qui s’était passé avec la tribu des Superds était la faute de Laplace. Je devrais lui en parler à notre prochaine rencontre.

En y réfléchissant, comment réagirait-il si je lui disais que je prévoyais de produire et de vendre en masse des figurines Ruijerd dans le futur ?

« Monsieur Ruijerd, pour être clair, cet homme a été bon pour moi depuis qu’il est arrivé dans cette ville. Je ne peux qu’imaginer ce qui a dû se passer dans le passé, mais… »

« Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas l’intention de me battre contre lui. »

Ruijerd avait souri de manière rigide en disant cela. Pourtant, il avait clairement manifesté son intention de tuer il y a quelques instants. Si je n’étais pas sorti à ce moment-là…

« Quand même, je n’aurais jamais pensé le voir ici. »

« Apparemment, il est venu ici pour me voir », avais-je dit.

« Ahh, eh bien, ça correspond à son caractère. »

Ruijerd avait forcé un autre sourire avant de retourner dans la maison.

Cette rencontre m’avait décontenancé. J’aurais pensé que Badigadi, joyeux et facile à vivre, pouvait s’entendre avec n’importe qui.

Au moment où j’étais retourné à la maison, Sylphie était réveillée et préparait le petit-déjeuner. Aisha, qui avait enfilé une tenue de femme de chambre pour une raison inconnue, aidait également. Norn semblait encore endormie. Dans l’intention de la réveiller, j’étais monté à l’étage. J’avais frappé à la porte et j’avais immédiatement tendu la main vers la poignée, mais un sentiment de pressentiment m’avait empêché d’ouvrir la porte. Au lieu de cela, je l’avais appelée.

« C’est l’heure du petit-déjeuner, alors descends, s’il te plaît. »

Il n’y avait pas eu de réponse, mais en tendant l’oreille, j’avais entendu le bruissement des vêtements. Apparemment, elle était en train de se changer. J’avais évité de déclencher une scène de nudité surprise ! Après tout, je n’étais plus un protagoniste à l’esprit étourdi.

« … OK. »

Une fois que j’avais entendu sa voix derrière la porte, je m’étais senti soulagé et j’étais retourné au premier étage.

Nous avions pris le petit-déjeuner tous les cinq. Aisha semblait avoir de bonnes manières à table pour son âge et mangeait magnifiquement bien. Comme d’habitude, Ruijerd n’avait utilisé qu’une fourchette. Norn, qui semblait encore à moitié endormie, n’avait pas mangé très gracieusement. Au moins, je pouvais dire qu’elle utilisait une fourchette. C’était un cran au-dessus d’Éris qui se contentait de poignarder sa viande avec un couteau et de la mettre dans sa bouche.

« Eh bien, il est temps pour moi de partir. »

Dès que le repas fut terminé, Ruijerd s’était préparé à partir. Il avait très peu de bagages, il ne portait donc pas grand-chose. Nous nous étions dirigés tous les cinq vers la sortie de la ville pour l’accompagner. Ruijerd prétendait que ce n’était pas nécessaire, mais ce n’était pas un problème de nécessité. C’était naturel de dire au revoir à un ami.

On n’avait pas eu beaucoup de conversation pendant que nous marchions. Finalement, Norn s’était accrochée à l’ourlet de la chemise de Ruijerd, assez silencieusement pour passer inaperçue. Ruijerd, cependant, l’avait remarqué et avait ralenti un peu son rythme. J’avais ralenti pour les suivre.

Norn ne semblait pas vouloir se séparer de Ruijerd, et je comprenais ce sentiment. Peut-être que je devrais vraiment le supplier de rester ? Une nuit n’était pas suffisante pour rattraper le temps perdu, et il y avait des gens que je voulais lui présenter, et une montagne de choses que je voulais qu’il voie.

Mais comme prévu la pensée d’Éris me retenait. Je ne voulais pas mettre Ruijerd mal à l’aise. Ce n’était pas la faute de Sylphie, c’était juste que j’avais l’impression que je ne pouvais pas vraiment parler à Ruijerd avant d’avoir mis les choses au clair avec Éris. Or, pour l’instant, je ne savais même pas où elle se trouvait.

Alors que je débattais de ces choses, nous étions arrivés à l’entrée de la ville.

« Eh bien, reste en sécurité », m’avait dit Ruijerd.

« Toi aussi », avais-je répondu.

Nos adieux furent brefs. Il y avait tellement de choses que je voulais dire. Je n’arrivais pas à trouver les mots sur le moment. Ce n’était pas comme si c’était un au revoir pour toujours. Je devais juste lui reparler une fois que les choses seraient plus calmes. Quant à Ginger, elle lui avait apparemment déjà fait ses adieux hier.

« Merci d’avoir pris soin de nous ! »

Aisha s’inclina joyeusement. Elle avait bien compris que son système de voyage rapide n’aurait jamais fonctionné sans Ruijerd. J’étais sûr que Ruijerd les avait aussi protégées de dangers qu’elles ne connaissaient pas.

« Aisha, n’en demande pas trop à Rudeus. »

« Oui, je sais ! »

Ruijerd avait souri avec raideur et lui avait tapé sur la tête.

« U-um, uh, Maître Ruijerd… »

Norn n’avait toujours pas lâché la chemise de Ruijerd. Elle avait un regard anxieux qui disait clairement qu’elle ne voulait pas qu’il parte.

« Ne t’inquiète pas, nous nous reverrons. »

Ruijerd lui offrit un petit sourire en posant sa main sur sa tête. Les voir tous les deux réveilla de vieux souvenirs. Quand j’avais la même expression anxieuse, Ruijerd me caressait aussi la tête.

Norn baissa les yeux, puis releva le visage. Elle avait essayé de dire quelque chose, puis avait pincé les lèvres. Son visage s’était déformé en plusieurs expressions différentes jusqu’à ce qu’elle se décide enfin.

« Je veux aller avec toi ! », déclara-t-elle.

Ruijerd avait l’air troublé et caressa sa tête, sans rien dire. Cependant, au fil des secondes, les yeux de Norn se remplirent rapidement de larmes.

« Compte sur Rudeus à partir de maintenant, pas sur moi », avait-il dit.

« Mais je ne peux pas ! Lui et Père… »

« C’est du passé. Il a déjà réfléchi à ses actions. Ton père l’a aussi fait. Je t’ai parlé des difficultés qu’il a traversées pendant notre voyage. Même toi, tu l’as accepté. »

« Mais hier, il était ivre ! Et il est avec une autre fille cette fois-ci que la dernière fois ! Je ne peux pas lui faire confiance ! »

L’air autour de nous semblait se refroidir lorsqu’elle avait dit cela, bien que ce ne soit peut-être que mon imagination. Après tout, j’avais déjà parlé d’Éris à Sylphie. Ce n’était pas de la triche, et ce n’était pas comme si j’essayais d’être un play-boy — bien que ce n’était probablement pas ce dont Norn avait l’air.

Ruijerd me regarda puis regarda Sylphie avant de forcer un sourire.

« C’est juste la façon dont les choses se passent entre hommes et femmes. Cela arrive. Cela ne veut absolument pas dire que ton frère est déloyal. »

Il retira sa main de sa tête.

« Vous là-bas. Voulez-vous me dire votre nom encore une fois ? »

« Oh, oui. Je m’appelle Sylphiette. »

« Sylphiette. Je laisse ces deux-là et Rudeus à vos soins. »

« O… bien sûr ! »

Ruijerd avait finalement échangé quelques mots avec Sylphie. Ses sentiments envers elle étaient sûrement compliqués, mais je priais pour qu’il ne lui en veuille pas.

« Eh bien, rencontrons-nous à nouveau. »

Je l’avais regardé partir jusqu’à ce que je ne puisse plus le voir. Il fut un temps où j’avais regardé sa silhouette s’éloigner, rempli de gratitude envers lui. J’étais sûr qu’en ce moment, Aisha et Norn ressentaient la même chose.

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