Mushoku Tensei (LN) – Tome 10 – Chapitre 11 – Partie 1

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Chapitre 11 : Nostalgie et frustration

Partie 1

J’étais actuellement assis sur l’un des canapés du salon. Ruijerd était assis en face de moi. Sylphie avait guidé Aisha et Norn vers la salle de bain.

Sylphie et moi avions tous les deux dessoûlé. L’odeur de l’alcool devait encore persister dans notre haleine, mais la magie de désintoxication avait au moins permis d’éliminer l’ivresse.

En regardant le visage de Ruijerd, éclairé par le feu crépitant, je m’étais souvenu de notre première rencontre. D’autres souvenirs avaient afflué : la fois où nous avions voyagé avec Éris, juste tous les trois, et d’autres choses.

« Ça fait vraiment longtemps », avais-je dit.

« Oui. »

Ruijerd avait également rétréci ses yeux et relevé les bords de sa bouche. Exactement comme dans mes souvenirs.

« Tout d’abord, je suppose que je dois te remercier d’avoir escorté mes petites sœurs jusqu’ici. »

« Pas besoin de me remercier. Protéger les enfants est tout à fait naturel. »

C’est vrai, cela lui ressemblait bien. Je me souvenais l’avoir traité de lolicon en plaisantant lorsque nous voyagions ensemble. Pourtant, j’avais pourtant été surpris de voir que la personne mentionnée par Paul dans sa lettre était Ruijerd. J’avais envisagé la possibilité que ce soit Ghislaine, mais étant donné que la tâche consistait à escorter des enfants, Ruijerd était le meilleur homme pour ce travail. Tellement, en fait, que je l’aurais engagé pour être les gardes du corps d’Aisha et de Norn à vie, si cela avait été possible.

En tout cas, cela faisait longtemps que nous n’avions pas parlé tous les deux. De quoi avions-nous même parlé, à l’époque ? Ruijerd était calme, pas du genre à faire la conversation.

« Au fait, qu’est-il arrivé à Éris ? » demanda Ruijerd, sans détour.

C’était une question à laquelle je n’avais pas vraiment envie de répondre, mais il méritait de savoir.

« Beaucoup de choses. Laisse-moi commencer par le début. »

Je lui avais raconté ce qui s’était passé après notre séparation devant le camp de réfugiés. Comment Éris et moi avions couché ensemble. Comment, immédiatement après, elle avait disparu et comment j’étais tombé dans les profondeurs du désespoir. Comment je n’avais pas pu m’en remettre. Comment j’avais passé les deux années qui avaient suivi à chercher ma mère. Comment j’avais rencontré Elinalise et entendu parler de ce qui se passait. Comment j’avais suivi la recommandation de l’Homme-Dieu et m’étais inscrit dans cette école. Comment cela m’avait aussi conduit à retrouver Sylphie et comment elle m’avait aidé à me rétablir. Et puis notre mariage.

« Je vois. »

Ruijerd écouta en silence pendant tout ce temps sans dire un mot. Finalement, il ajouta ceci : « Ça arrive souvent. »

« Ça arrive souvent ? », avais-je répété.

Il avait simplement hoché la tête.

« C’est un point de vue dans lequel les guerriers s’enlisent souvent. Je suis sûr qu’Éris ne te déteste pas. »

« Mais elle a dit que nous deux n’étions pas “équilibrés”. »

« Je ne sais pas si elle disait cela de manière littérale, ou si tu as juste mal compris son sens. »

« Mal compris ? »

« Oui. Éris n’a jamais été très douée avec les mots. »

Ruijerd devait le savoir, il ne l’était pas non plus.

« En tout cas, elle t’aimait bien quand on voyageait ensemble. Si tu as l’occasion de la revoir, garde la tête froide et parles-en avec elle. »

Est-ce que j’avais tout faux ? Quand elle disait que nous n’étions pas équilibrés, voulait-elle simplement dire qu’elle n’était pas à mon niveau ? Elle était partie pour devenir plus forte, pour atteindre cet équilibre et revenir ? Dans ce cas, peut-être qu’elle voulait dire « attends-moi ».

Même dans ce cas, il était trop tard pour le savoir maintenant. Peu importe ce qu’elle voulait dire, j’avais quand même passé trois ans à souffrir. Trois ans pendant lesquels je n’avais pas entendu un mot de sa part. La personne qui m’avait finalement sauvé était Sylphie, pas Éris. Qu’est-ce que j’étais censé faire maintenant, mettre Sylphie de côté et me réconcilier avec Éris ? C’était impossible.

Et puis, honnêtement, j’étais encore un peu terrifié à l’idée de rencontrer Éris à nouveau. Ce n’est pas que je n’avais pas confiance en ce que disait Ruijerd, mais il était possible qu’elle en ait vraiment marre de moi. Ce serait un véritable coup dur pour moi si je l’approchais avec l’intention de me réconcilier et qu’elle me frappe et refuse de me regarder dans les yeux.

Arrêtons d’y penser, me suis-je dit. Quelle que soit la vérité, je ne pouvais pas changer le passé. Ressasser le passé ne m’aiderait pas.

J’avais donc changé de sujet.

« Qu’as-tu fait pendant tout ce temps, Monsieur Ruijerd ? »

« Ah, oui. »

Il avait l’air d’avoir encore quelque chose à dire, mais il avait quand même hoché la tête.

« Après m’être séparé de vous deux, je me suis dirigé vers la zone forestière de la région sud. »

Apparemment, Ruijerd avait deviné que la Tribu des Superds qui se cachait dans le Continent Central se trouvait dans une forêt. Il s’était rendu dans la forêt dense au sud des montagnes du Roi Dragon, où il avait mené une recherche exhaustive pendant deux ans. Il n’avait finalement trouvé aucune trace des Superds, mais il avait trouvé plusieurs objets appartenant à des personnes supposées être mortes pendant l’incident de téléportation. Il les avait livrés à la ville la plus proche.

Ses recherches dans la forêt n’ayant rien donné, Ruijerd se dirigea vers le sud le long de la côte et arriva à Port Est. Il avait prévu d’y prendre les informations en provenance de Millis, puis de se diriger vers le nord pour fouiller la zone de conflit. Mais, par chance, il était tombé sur Paul. Après cela, tout s’était passé exactement comme Paul l’avait écrit dans sa lettre. Lorsque Paul hésita à renvoyer ses deux filles, Ruijerd se porta volontaire pour l’escorter.

« Oh, j’ai aussi rencontré ton maître. »

« Maître Roxy ? »

Ruijerd avait un sourire crispé : « Oui. Elle était un peu différente de ta description. »

« Vraiment ? Dans quel sens ? »

« À la seconde où j’ai dit mon nom et qu’elle a vu la gemme sur mon front, elle devint complètement terrifiée. »

En y réfléchissant, c’était Roxy qui m’avait dit que la tribu des Superds était des tueurs terrifiants. En tant que membre des Migurd, qui vivaient dans la crainte des Superds, sa réaction était probablement inévitable. Mais j’aurais aimé le voir : Roxy tremblant de terreur à la vue de Ruijerd.

« Au fait, j’ai entendu dire que tu as voyagé aux côtés de Mlle Ginger jusqu’ici ? »

« Oui. On est arrivé dans la soirée et on est allé à l’université, mais on ne t’a pas trouvé. »

Ils pensaient que je vivais dans les dortoirs. Bien sûr, j’étais déjà parti au pub à ce moment-là, et je suppose que toutes les personnes à qui ils avaient demandé ne savaient où j’étais allé. Ils avaient donc demandé mon adresse à la place. Pour être sûrs de ne pas me manquer, ils étaient partis tous les trois à la recherche de ma maison, tandis que Ginger s’était séparé pour couvrir plus de terrain. Cependant, ils s’étaient perdus en chemin, soit parce qu’Aisha ou Norn s’étaient trompées de rue, soit parce que la personne qui leur avait expliqué l’emplacement de la maison s’était trompée. Alors qu’ils erraient dans la ville, Ruijerd avait relevé mes empreintes de pas et les avait suivies jusqu’à notre maison.

« Voilà ce qui s’est passé. Je dois te transmettre ma gratitude. Merci. », avais-je dit

« Tu n’as pas besoin de me remercier. »

Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire à ses mots. Une de mes plus grandes fiertés était d’être reconnu comme un ami par cet homme.

« En tout cas, tu as fait vite. », avais-je dit.

La lettre n’était arrivée que le mois dernier. J’avais pensé qu’il leur faudrait deux ou trois mois pour arriver ici, au plus tôt. 

« Ta petite sœur était impatiente. »

« Laquelle ? »

« Aisha. C’est grâce à elle que nous avons pu voyager si vite. »

D’après Ruijerd, Aisha avait proposé qu’ils accompagnent une caravane de marchands pour pouvoir aussi voyager de nuit. De telles caravanes n’acceptaient généralement pas d’étrangers, alors Aisha leur avait offert les services de Ruijerd et de Ginger comme gardes en échange de les laisser partir avec Norn. C’était un bon accord, bien que les négociations n’aient pas été faciles.

Chaque fois que leur caravane actuelle atteignait sa destination, ils se rendaient dans la ville la plus proche pour en chercher une autre. C’était grâce à ce changement rapide de caravanes qu’ils purent voyager si efficacement. Ils recueillaient des informations sur les horaires et les emplacements des caravanes, parfois même en revenant sur leurs pas jusqu’à une ville précédente pour monter dans une caravane qui leur convenait mieux. Lorsque le trio avait demandé à Aisha pourquoi ils devaient faire demi-tour, elle répondit : « Parce que ce chemin est plus rapide. » Incroyable.

« Ça a sûrement dû être dur pour toi ? Si tu te déplaçais le jour et que tu faisais office de garde du corps la nuit, ça veut dire que tu devais rester éveillée tout le temps. »

« Ce n’était pas le cas. Je suis habitué à voyager continuellement sans repos, et ce depuis un certain temps maintenant. Mais… »

« Mais ? »

« C’était la première fois depuis longtemps que j’avais l’impression qu’on me donnait des ordres. »

Il fit un mince sourire en disant cela. Peut-être se souvenait-il de l’époque de la guerre de Laplace.

Aisha, cette petite peste.

« Eh bien, je ne sais pas vraiment quoi dire, mais il semble que ma petite sœur t’aies causé beaucoup de… »

« C’est juste une histoire drôle. »

Comme d’habitude, Ruijerd était doux quand il s’agissait d’enfants. Mais même si cela ne le dérangeait pas, nous ne pouvions pas élever Aisha pour qu’elle soit le genre d’individu qui donne des ordres aux gens. Je devrais lui dire ce que je pense plus tard.

« Mais elle dormait comme un loir pendant que tu travaillais sans arrêt, n’est-ce pas ? », avais-je argumenté.

« Elle ne dormait pas. Elle calculait constamment notre itinéraire, planifiant notre voyage de la manière la plus efficace possible. »

Hm, d’accord. Donc elle n’avait pas fait faire tout le travail à Ruijerd. Si c’était le cas, alors je ne pouvais pas la blâmer.

« Et pourtant c’est encore une enfant », ajouta-t-il.

Le plan sans pause d’Aisha n’avait apparemment pas tenu compte de leur endurance. Au milieu du voyage, elle et Norn s’étaient effondrées d’épuisement. Selon le programme interne d’Aisha, elle avait prévu d’arriver ici avant l’hiver, lorsque le temps rendrait le voyage difficile. Ce fut la raison pour laquelle elles étaient arrivées plus vite que la lettre ne le suggérait.

« Mlle Ginger a dû passer un mauvais moment elle aussi. Comment était-elle ? »

« Elle était en fait assez contente de notre rythme. Elle a dit qu’elle ne voulait rien de plus que de voir Sa Majesté aussi vite que possible. »

On dirait qu’il y avait beaucoup de gens dans ce monde qui avaient des muscles à la place du cerveau. Ginger était certainement une personne loyale. Elle avait probablement déjà retrouvé Zanoba. Comment allait-elle réagir en voyant Julie ? J’aurais aimé être là pour le voir.

« Elle a apparemment l’intention de retourner au service du prince », confirma Ruijerd.

« Je vois. Au fait, combien de temps comptes-tu rester ici ? », avais-je demandé nonchalamment.

Je supposais que la réponse serait environ une semaine. Je n’aurais pas besoin de beaucoup de temps pour le présenter à tous mes amis. J’étais sûr que Zanoba serait ravi. Linia et Pursena auraient probablement aussi leur mot à dire. Et qui sait ce que Cliff en penserait ? Ruijerd et Badigadi se connaissaient peut-être déjà, en fait.

Ces pensées s’étaient arrêtées net lorsque j’avais entendu la réponse de Ruijerd : « Je pars demain. »

« C’est plutôt… rapide. »

« J’ai entendu dire que quelqu’un avait vu un diable au fond des bois à l’est. J’ai l’intention de vérifier. »

Ruijerd avait déjà flairé son prochain arrêt. Je pensais qu’il pouvait se permettre de rester un peu plus longtemps, mais ce serait insensible de ma part de le garder.

« En plus. Je n’ai pas l’intention de te gêner. », avait-il dit

« Bien sûr que non. Tu ne te mettras jamais en travers de mon chemin. »

Je ne le traiterais jamais comme une nuisance.

« C’est aussi un peu… difficile d’être ici. »

Il y avait de la solitude dans sa voix. Le fait qu’Éris et moi ne soyons pas ensemble était peut-être choquant pour lui. Je ne savais pas exactement comment Ruijerd se sentait, mais si j’étais à sa place, je pourrais aussi trouver un peu difficile de me voir me blottir si amoureusement contre Sylphie.

« Je suppose que je ne peux pas t’en vouloir pour ça. »

J’avais l’impression qu’une faille s’était formée dans notre amitié. Peut-être qu’Éris était la fondation qui nous maintenait ensemble.

« Rudeus. »

J’avais levé la tête quand il a prononcé mon nom. Apparemment, j’avais détourné les yeux à un moment donné. Ruijerd m’avait adressé un mince sourire.

« Ne fais pas cette tête. Je reviendrai. »

C’était tout ce que je pouvais faire pour forcer un sourire en retour. Je ne regrettais pas le fait d’avoir épousé Sylphie. Cependant, j’avais l’impression d’avoir fait une erreur.

« Si je rencontre Éris, je verrai ce qu’elle a à dire. »

« Je t’en prie », avais-je répondu, en le regardant droit dans les yeux. J’avais trouvé une douce lumière qui brûlait en eux.

Peu après, Sylphie était sortie du bain. Norn s’était apparemment endormie au milieu du bain, tandis qu’Aisha avait été assez turbulente dans l’eau, mais s’était effondrée dans le sommeil dès qu’elle en fut sortie. Tel était l’effet relaxant d’un bain. L’eau chaude faisait des merveilles pour un corps épuisé.

« Merci d’avoir fait tout ça. »

« Aisha semblait se souvenir de moi. Elle a tout de suite deviné qui j’étais. C’était tout à fait différent de quelqu’un d’autre que nous connaissons tous les deux. »

« Tes cheveux sont plus longs, tu ne portes pas de lunettes de soleil, et tu n’es pas habillé en garçon, donc ça ne compte pas. »

« Mais Norn ne semblait pas se souvenir de moi. »

« C’est rare qu’un enfant de trois ou quatre ans se souvienne des autres enfants du quartier. »

« Je suppose que oui. »

Sylphie avait mis les filles en pyjama et les avait installées dans le même lit. Parler avec elles devra attendre jusqu’à demain.

« Um, c’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Sylphiette Greyrat. »

« Oui. Je m’appelle Ruijerd Superdia. »

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