Mushoku Tensei (LN) – Tome 1 – Chapitre 6

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Chapitre 6 : Motif de respect

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Chapitre 6 : Motif de respect

Partie 1

Je n’avais pas quitté la maison depuis que j’étais venu au monde. Au bout d’un moment, c’était devenu intentionnel de ma part.

J’avais peur.

Quand j’étais entré dans la cour et que j’avais regardé à l’horizon, mes souvenirs étaient revenus : des souvenirs de ce jour-là. La douleur dans mon côté. Le froid de la pluie. Des regrets. Le désespoir. La douleur d’avoir été heurté par ce camion.

C’était aussi vif que si c’était hier. Mes jambes en tremblaient.

J’avais pu regarder par la fenêtre. J’avais pu sortir dans notre jardin. Mais je ne pouvais pas me résoudre à aller plus loin. Et je savais pourquoi.

Ce paysage pastoral serein qui s’étendait devant moi pouvait se transformer en enfer en un instant. Aussi paisible que puisse paraître le paysage, il ne m’accepterait jamais.

Dans ma vie antérieure, assis autour de la maison, frustré et excité, je fantasmais sur le Japon qui se retrouvait soudainement pris dans une guerre. Et puis une fille sexy se pointait un jour et avait besoin d’un endroit où vivre. Je savais que si ça arrivait, je relèverais le défi.

Ce fantasme était ma fuite de la réalité. J’en avais rêvé tellement de fois. Dans ces rêves, je n’étais pas un super-héros ou quoi que ce soit, mais juste un type normal. Je n’étais qu’un type normal, faisant des choses normales, vivant une vie normale pour lui-même.

Mais alors, je me réveillerais de ce rêve. Je craignais que si je m’éloignais d’un pas de chez moi maintenant, je me réveille aussi de ce rêve. Je me réveillerais, et je me retrouverais dans ce moment de désespoir écrasant, battu par les vagues de mes nombreux regrets.

Non. Ce n’était pas un rêve. C’était beaucoup trop réel. Peut-être que si vous m’aviez dit que c’était un VRMMORPG, mais… non. C’est la réalité, me suis-je dit. Je savais que ça l’était. C’était la réalité, et non pas un rêve.

Et pourtant, je n’arrivais toujours pas à m’éloigner d’un pas de chez moi.

Peu importe comment j’essayais de me rassurer, peu importe ce que je m’étais promis à haute voix, mon corps n’obéirait pas.

J’avais envie de pleurer.

◇ ◇ ◇

La cérémonie de remise des diplômes devait avoir lieu à l’extérieur du village, m’informa Roxy.

J’avais humblement protesté.

« Dehors ? »

« Oui, juste à l’extérieur du village. J’ai déjà préparé le cheval. »

« On ne peut pas le faire à l’intérieur de la maison ? »

« Non, on ne peut pas. »

« On ne peut pas, hein ? »

J’étais perdu. Intellectuellement, je savais qu’un jour, j’aurais besoin de m’aventurer dans l’au-delà. Mon corps avait cependant refusé d’obtempérer. Il se souvenait encore trop d’avant.

Il se souvenait de mon ancienne vie. Quand il se faisait tabasser par des voyous. Quand il était la risée de tout le monde. Quand j’avais eu ce grand chagrin d’amour. Quand je n’avais pas eu d’autre choix que de devenir un reclus.

« Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda Roxy.

« C’est juste qu’il y a peut-être des monstres ou quelque chose comme ça. »

« Oh, nous n’en croiserons certainement aucun par ici, tant que nous n’approcherons pas trop près des forêts. Même si on en rencontrait, ils seront assez faibles pour que je puisse m’occuper d’eux. Tu pourrais probablement t’en occuper toi-même. »

Roxy fronça les sourcils d’une manière qui montrait qu’elle était emplie de doute à cause de mes protestations et de mes hésitations à ne pas vouloir partir.

« Ah, c’est vrai, je me souviens d’avoir entendu dire que… Tu n’as jamais quitté la maison, n’est-ce pas, Rudy ? »

« Euh… non. »

« Est-ce parce que tu as peur du cheval ? »

« N-Non, je n’ai pas si peur des chevaux. »

En fait, j’aimais vraiment les chevaux. J’avais joué à Derby Stallion et tout.

« Héhé. Ah, voilà donc ce que c’est. Parfois, je suppose que tu agis comme un enfant de ton âge. », avait déclaré Roxy.

Elle se trompait complètement, mais je ne pouvais pas lui dire que j’avais peur de quitter la maison. Ce serait encore plus humiliant que de dire que j’avais peur des chevaux. Et j’avais toujours mon sentiment de fierté — mon sentiment de fierté minuscule, sans contact avec la réalité.

Vraiment, tout ce que je voulais, c’était qu’une fille aussi cool qu’elle ne se moque pas de moi.

Je n’avais toujours pas bougé.

« Je suppose que je n’ai pas d’autre choix, alors, Hyup ! », dit Roxy.

Sur ce, elle me souleva et m’avait levé par-dessus son épaule.

« Bwuh !? »

J’avais rechigné.

« Une fois que tu seras sur le cheval, tes peurs disparaîtront, je te le promets. »

Je n’avais pas lutté. Une partie de moi était en conflit à propos de ce qui se passait, mais une autre partie de moi avait l’impression que je devais accepter d’être emporté par ce corps.

Roxy m’avait hissé sur le dos du cheval et grimpa derrière moi. Elle avait pris les rênes, les avait tirés, et le cheval s’était mis à galoper, laissant la maison derrière lui.

◇ ◇ ◇

C’était la première fois que j’allais plus loin que mon propre jardin. Roxy nous avait lentement guidés à travers le village. De temps en temps, les villageois nous jetaient des regards sans pudeur dans ma direction.

Oh, s’il vous plaît, non, pensais-je. Ces regards étaient plus effrayants que jamais, surtout cette lueur de supériorité ricanante que je connaissais trop bien. Ne s’adresseraient-ils pas à moi sur un ton sarcastique et condescendant… n’est-ce pas ? Ils ne me connaissaient même pas. Comment avaient-ils pu ? Les seules personnes qui me connaissaient dans le monde entier étaient les personnes de notre petite maison.

Alors pourquoi me regardaient-ils ? Arrêtez de me fixer, avais-je grommelé intérieurement. Retournez au travail.

Mais… non. Ce n’était pas moi qu’ils regardaient.

C’était Roxy.

J’avais aussi remarqué que certains habitants de la ville s’inclinaient devant elle. Quelque chose m’avait frappé : Roxy s’était fait un nom dans le village, même avec les préjugés importants contre les démons dans ce royaume. Et nous étions à la campagne, dans un endroit où ces attitudes étaient encore plus prononcées. En l’espace de deux ans, Roxy était devenue quelqu’un devant qui les gens d’ici étaient prêts à s’incliner.

Avec cette prise de conscience, j’avais senti à quel point Roxy était devenue ici une personne digne de confiance. Elle connaissait le chemin et connaissait clairement les gens que nous croisions. Si quelqu’un essayait de me dire quelque chose, j’étais sûr qu’elle interviendrait.

Comment la fille qui espionnait les ébats dans la chambre de mes parents avait-elle réussi à devenir quelqu’un d’une si grande estime ? La tension de mon corps s’était dissipée à cette pensée.

« Le Caravage est de bonne humeur. Il a l’air content que tu le montes, Rudy. », dit Roxy

Caravage était le nom du cheval. Mais je n’avais aucune idée de comment lire l’humeur d’un cheval.

« Oh, d’accord », dis-je vaguement, tout en me reposant contre Roxy, sa modeste poitrine appuyée contre l’arrière de ma tête. C’était agréable.

De quoi avais-je si peur ? Pourquoi quelqu’un dans ce village tranquille voudrait-il se moquer de moi ?

La voix de Roxy m’avait fait sortir de ma rêverie.

« As-tu toujours peur ? »

J’avais secoué la tête. Les regards des villageois ne me faisaient plus du tout peur.

« Non, je vais bien. »

« Tu vois ? Qu’est-ce que je t’avais dit ? »

Maintenant que j’avais trouvé un peu de sang-froid, je pouvais prendre pleinement conscience de mon environnement. Les champs s’étendaient aussi loin que je pouvais voir, avec des maisons parsemées ici et là. Cela ressemblait vraiment à un village agricole.

Beaucoup plus loin à l’horizon se trouvaient encore quelques maisons. Si elles avaient été plus proches les unes des autres, j’aurais pensé que c’était une ville. Si l’on y rajoutait un moulin à vent, cela aurait pu ressembler à la Suisse ou quelque chose comme ça.

En fait, n’avaient-ils pas de moulins à eau aussi ?

Maintenant que j’étais détendu, j’avais remarqué que tout était calme. Les choses n’avaient jamais été aussi calmes quand Roxy et moi étions ensemble. Mais nous n’avions jamais été seuls comme ça. Le silence n’était vraiment pas mauvais, c’était juste un peu gênant.

Alors, j’avais décidé de le rompre.

« Mlle Roxy, qu’est-ce qu’ils récoltent dans ces champs ? »

« C’est surtout du blé d’Asura, qui sert à faire du pain. Probablement des fleurs de Vatirus et aussi des légumes. Dans la capitale, les fleurs de Vatirus sont transformées en parfum. Le reste, c’est le genre de choses que tu as l’habitude de voir sur ta table aux repas. »

« Oh, oui, je vois des poivrons ! Tu ne peux pas manger ça, n’est-ce pas, Mlle Roxy ? »

« Ce n’est pas que je ne peux pas les manger, mais je ne les aime pas beaucoup. »

J’avais continué à poser des questions de ce genre. Aujourd’hui, m’avait dit Roxy, ce sera mon examen final — ce qui signifierait la fin de son rôle de tutrice. Et sachant à quel point Roxy pouvait être impatiente, elle pourrait quitter ma maison dès demain. Si c’était le cas, aujourd’hui était notre dernière chance de passer du temps ensemble. Je m’étais dit que je devais lui parler tant que je le pouvais encore.

Malheureusement, je n’avais pas trouvé le bon sujet de conversation, alors j’avais fini par poser plus de questions sur mon village.

Selon Roxy, nous vivions dans le village de Buena, situé dans la région de Fittoa, au nord-est du royaume d’Asura. À l’heure actuelle, il y avait plus de trente ménages ici, travaillant la terre agricole. Mon père, Paul, était un chevalier qui avait été déployé dans le village. Son travail consistait à veiller sur les habitants de la ville pour s’assurer qu’ils s’acquittaient correctement de leurs tâches, régler les différents et protéger le village des attaques de monstres. Bref, il était en gros le gardien du village.

Cela dit, les jeunes hommes du village le gardaient aussi à tour de rôle, de sorte que Paul passait la plupart de ses après-midi à la maison après avoir fait sa ronde matinale. Notre village était plutôt paisible, ce qui lui laissait peu de travail à faire.

Tandis que Roxy me racontait ces détails, les champs de blé devinrent plus rares. J’avais cessé de lui poser des questions, et le silence reprit pendant un moment. Le reste de notre voyage avait pris environ une heure de plus.

Bientôt, les champs de blé disparurent complètement, ce qui nous avait laissé le temps de traverser des prairies vides.

◇ ◇ ◇

Nous avions poursuivi notre route à travers les plaines, en direction de l’horizon plat.

Non, au loin, je pouvais voir des montagnes. C’était quelque chose qu’on ne pouvait pas voir au Japon. Cela m’avait fait penser à cette photo des steppes mongoles dans mon manuel de géographie.

« Ici, ça devrait bien se passer », dit Roxy, en arrêtant le cheval près d’un arbre solitaire. Elle descendit et attacha les rênes à l’arbre.

Puis, elle m’avait pris dans ses bras et m’avait aidé à descendre, nous mettant face à face.

« Je vais lancer une incantation d’attaque d’eau de niveau Saint, Cumulonimbus. Celui-ci crée le tonnerre et fait tomber des pluies torrentielles sur une grande surface. », dit-elle

« D’accord. »

« Suis ce que je fais et essaye de jeter le sort toi-même. »

J’allais utiliser la magie de l’eau de niveau Saint.

J’avais compris : C’était mon examen final. Roxy allait utiliser le sort le plus puissant qu’elle avait dans son répertoire, et si j’étais capable de l’utiliser aussi bien, cela voudrait dire qu’elle m’aurait appris tout ce qu’elle pouvait.

« Ce n’est qu’une démonstration, je vais annuler le sort dans une minute. Si tu peux faire tomber la pluie pendant… au moins une heure, disons, je considérerai ça comme une réussite. »

« Sommes-nous venus dans un endroit où il n’y a personne parce que ça implique des enseignements secrets ? », avais-je demandé.

« Non, nous sommes venus ici parce que le sort pourrait blesser des gens ou endommager les récoltes. »

Wôw. Une pluie si forte qu’elle pourrait endommager les cultures ? Ça avait l’air incroyable.

« Commençons maintenant. »

Roxy leva les deux mains vers le ciel.

« Ô esprits des eaux magnifiques, je supplie le Prince du Tonnerre ! Accorde-moi mon vœu, bénis-moi de ta sauvagerie, et révèle à cet insignifiant serviteur un aperçu de ta puissance ! Que la peur frappe le cœur de l’homme quand ton divin marteau frappe son enclume et recouvre la terre d’eau ! Viens, ô pluie, et emporte tout dans ton déluge de destruction, Cumulonimbus ! »

Elle incantait de manière régulière, lentement et avec détermination. Il lui avait fallu un peu plus d’une minute pour terminer son incantation.

Un instant plus tard, notre environnement s’était assombri. Pendant plusieurs secondes, il ne s’était rien passé, puis une pluie battante s’était mise à tomber. Un vent formidable avait rugi, accompagné de nuages noirs qui scintillaient sous l’effet de la foudre. Au milieu de la pluie torrentielle, le ciel s’était mis à gronder, et la lumière pourpre avait traversé les nuages. Après chaque nouveau flash, la puissance de l’éclair augmentait. C’était presque comme si la lumière elle-même prenait un poids palpable, grandissant avec une houle tout en étant prête à descendre.

La foudre avait frappé l’arbre à côté de nous. Mes tympans sonnèrent, et ma vision était devenue douloureusement blanche.

Roxy avait déclenché un cri d’alarme au moment de l’accident. Quelques instants plus tard, les nuages s’étaient dispersés, la pluie et le tonnerre s’étaient rapidement dissipés.

« Oh, non », murmura Roxy en se précipitant vers l’arbre, le visage pâle.

***

Partie 2

Quand ma vision fut revenue, j’avais vu que le cheval s’était effondré, de la fumée s’échappant de son corps. Roxy posa les mains sur le corps du cheval et se mit rapidement à incanter.

« Oh, déesse de l’affection maternelle, referme ses blessures et redonne de la vigueur à son corps, Guérison large ! »

L’incantation de Roxy avait été agitée, mais peu de temps après, le cheval s’était réveillé. Il n’était donc pas si proche de la mort : Un sort de Guérison de niveau Intermédiaire comme celui-là ne pouvait pas ramener les morts à la vie.

Le cheval avait l’air alarmé, et la sueur avait perlé sur le front de Roxy.

« Ouf ! Ce n’était pas loin ! »

Ouais, très bien, je dirais qu’on n’était pas très loin. C’était le seul cheval de ma famille ! Paul s’en occupait consciencieusement tous les jours et l’emmenait de temps en temps faire de longues promenades, un sourire éclatant sur son visage. Il n’avait pas un pedigree particulièrement intéressant ou quoi que ce soit d’autre, mais Paul et ce cheval avaient traversé beaucoup de choses au fil des ans. Ce n’était pas exagéré de dire qu’après Zenith, Paul aimait ce cheval plus que tout. Voilà à quel point c’était important.

Bien sûr, pour avoir vécu avec nous ces deux dernières années, Roxy était bien consciente de cela aussi. Je l’avais vue plus d’une fois avec son visage ravi alors qu’elle espionnait Paul et le cheval, pour ensuite s’éloigner.

« Pourrions-nous, ah, pourrions-nous garder ça secret, s’il te plaît ? » dit Roxy, les larmes aux yeux.

C’était une maladroite. Des quasi-accidents et des égratignures de ce genre étaient fréquents chez elle. Pourtant, elle avait tout donné. Je savais qu’elle se couchait tard tous les soirs pour planifier des leçons pour moi, et je savais qu’elle faisait de son mieux pour se donner un air de dignité afin que les gens ne l’abandonnent pas à cause de son âge.

J’aimais ça chez elle. Sans notre différence d’âge, j’aurais voulu l’épouser.

« Tu n’as pas à t’inquiéter. Je ne dirai rien à mon père », avais-je dit.

Ses lèvres tremblèrent.

« S’il te plaît, ne dis rien. »

Bien qu’au bord des larmes, Roxy secoua rapidement la tête, gifla ses propres joues et retrouva son sang-froid.

« Très bien, Rudy. Vas-y, fais un essai. Je veillerai à la sécurité de Caravage. »

Le cheval avait encore l’air effrayé, prêt à s’enfuir à tout moment, mais Roxy marcha devant lui, bloquant son chemin avec son petit corps. Elle ne pouvait certainement pas maîtriser physiquement un cheval, mais peu à peu, la créature nerveuse devint plus docile. Roxy avait tenu sa position et avait murmuré une incantation en un murmure.

Tous les deux avaient été engloutis par un mur de terre, qui s’était transformé en un dôme de terre, un peu comme un igloo. C’était une forteresse de Terre de niveau Avancé. Ça devrait suffire pour les protéger de l’orage.

Très bien. C’était à moi de le faire. J’allais être tellement génial que ça allait époustoufler Roxy.

C’était quoi déjà cette incantation ? Ah, oui.

« Ô esprits des eaux magnifiques, je supplie le Prince du Tonnerre ! Accorde-moi mon vœu, bénis-moi de ta sauvagerie, et révèle à cet insignifiant serviteur un aperçu de ta puissance ! Que la peur frappe le cœur de l’homme quand ton divin marteau frappe son enclume et recouvre la terre d’eau ! Viens, ô pluie, et emporte tout dans ton déluge de destruction, Cumulonimbus ! »

J’avais prononcé les mots en une fois, et les nuages avaient commencé à s’envoler et à gonfler.

Maintenant j’avais compris la nature du sort de Cumulonimbus : En plus de conjurer des nuages au-dessus de votre tête, vous deviez simultanément gérer une série complexe de mouvements pour les transformer en nuages orageux, ou quelque chose du genre. Vous deviez continuellement canaliser la magie dans le sort ou les nuages s’arrêtaient de bouger et se dissiperaient. Laissant la magie de côté, devoir rester ici les deux mains levées pendant plus d’une heure était vraiment craignos.

Attendez, non. Attendez un peu. Les magiciens étaient créatifs. Ils n’auraient pas besoin de tenir une pose comme ça pendant une heure pour faire les choses. Il fallait que je me souvienne : C’était un test. Je n’étais pas censé rester immobile pendant une heure. Après avoir créé les nuages, j’avais besoin d’utiliser une sorte de magie combinée pour maintenir le sort.

C’était le moment de vérité. J’avais besoin de faire appel à tout ce que j’avais appris.

« OK, je crois me souvenir d’avoir vu ça à la télé une fois. Alors, quand les nuages sont encore en train de se former… »

Certains des nuages que Roxy avait créés plus tôt s’attardaient encore. Si je me souvenais bien, je pourrais conjurer un tourbillon d’air horizontal et réchauffer l’air en dessous pour créer un courant ascendant. Et puis, si je refroidissais l’air au-dessus du courant ascendant, il prendrait de la vitesse et…

En faisant tout cela, j’avais fini par brûler la moitié de mes réserves magiques. Mais j’avais fait ce que j’avais pu. Je voulais juste voir si ça durerait une heure. Satisfait, je m’étais dirigé vers le dôme que Roxy avait créé, la pluie tombant sur moi pendant que le tonnerre grondait dans le ciel.

Roxy était assise contre un côté du dôme, les rênes du cheval serrées dans ses mains. En me voyant, elle avait fait un petit signe de tête.

« Ce dôme disparaîtra dans environ une heure, donc tout ira bien, en supposant qu’il ne disparaisse pas d’ici là. », dit-elle.

« D’accord. »

« Ne t’inquiète pas. Caravage va très bien. »

« D’accord. »

« Eh bien, si tout va bien, alors retourne là-bas. Tu te souviens que tu dois contrôler ces nuages orageux pendant une heure. »

Hein ?

« Les contrôler ? »

« Hmm ? Eh bien, oui. Qu’y a-t-il de si étrange ? », demanda Roxy.

« Juste… Je dois juste les contrôler ? »

« Bien sûr. C’est un sort magique d’eau de niveau Saint, et si tu ne gardes pas ton sort alimenté par la magie, tes nuages vont se dissiper. »

« Mais j’ai déjà pris des mesures pour m’assurer qu’ils ne le feraient pas », dis-je.

« Hein ? Oh ! »

Roxy avait commencé à se précipiter hors du dôme comme si elle avait soudainement réalisé quelque chose. C’était à ce moment que le dôme avait commencé à s’effondrer.

N’oublie pas de contrôler ta magie ou tu enterreras le cheval vivant.

« Oups ! »

Roxy avait vite repris le contrôle de son sort, puis était sortie. Elle regarda le ciel, étonnée.

« Je vois ! Tu as créé un tourbillon diagonal pour pousser les nuages vers le haut ! »

Les cumulonimbus que j’avais créés continuaient de croître, apparemment sans limite.

Pas mal, si je devais le dire moi-même.

Il y a longtemps, j’avais vu une émission scientifique spéciale sur la formation des super-cellules. Je ne me souvenais pas des détails exacts, mais j’avais gardé une vague impression visuelle du processus. En partant de là, j’avais réussi à créer quelque chose d’assez similaire.

« Rudy, tu as réussi. », dit Roxy.

« Hein ? Mais ça ne fait pas encore une heure. »

« Ce n’est pas la peine. Si tu es arrivé à faire cela, tu es plus que compétent. Maintenant, peux-tu le faire disparaître ? », avait-elle répondu.

« Euh, bien sûr. Mais ça va prendre un peu de temps. »

J’avais refroidi le sol sur une grande surface, puis réchauffé l’air au-dessus afin de créer un courant descendant, utilisant finalement un peu de magie du vent pour disperser les nuages.

Une fois que j’avais fini, Roxy et moi étions restés là, tous les deux trempés jusqu’aux os. « Félicitations, tu es maintenant un magicien d’eau de niveau Saint. », dit Roxy.

Elle était éblouissante, sa main effleurant sa frange mouillée, un sourire bien trop rare sur son visage.

Je n’avais rien accompli dans ma vie antérieure. Mais j’avais fait quelque chose maintenant. Dès que je m’en étais rendu compte, une curieuse sensation s’était développée en moi. Et je savais ce que c’était.

C’était un sentiment d’accomplissement.

Pour la première fois depuis que j’étais venu au monde, j’avais l’impression d’avoir vraiment fait mon premier pas.

◇ ◇ ◇

Le lendemain, Roxy se tenait à l’entrée de notre maison dans sa tenue de voyage, c’était le portrait craché de la personne qui était arrivée deux ans auparavant. Mon père et ma mère n’avaient pas l’air très différents non plus. La seule chose qui avait changé, c’était que j’étais plus grand.

« Roxy, tu es plus que la bienvenue pour rester. J’ai encore plein de recettes que je pourrais t’apprendre. », dit Zenith

Paul l’avait suivi.

« C’est vrai. Ton rôle de tuteur à domicile a peut-être pris fin, mais nous te sommes redevables de ton aide pour la sécheresse de l’année dernière. Je suis sûr que les villageois seraient heureux que tu puisses rester dans le coin. »

Mes parents étaient là, essayant d’empêcher Roxy de partir. À mon insu, ils étaient apparemment devenus de bons amis. Ce qui était logique, elle était libre une grande partie de ses après-midi, et je supposais qu’elle l’avait passé à élargir son cercle social. Elle n’était pas seulement un intérêt amoureux pour un jeu vidéo, dont les circonstances n’avaient changé que lorsque le personnage principal avait fait quelque chose.

« J’apprécie l’offre, mais j’ai peur de ne pas pouvoir l’accepter. Enseigner à votre fils m’a fait réaliser à quel point je suis vraiment impuissante, alors je vais faire le tour du monde pour affiner ma magie. », répondit Roxy.

Elle avait dû être un peu choquée que j’aie atteint le même rang qu’elle. Et elle avait déjà dit que le fait d’avoir un élève qui dépassait ses compétences la mettait mal à l’aise.

« Je vois. Je suppose qu’on n’y peut rien. Je suis désolé que notre fils t’ait fait perdre confiance en toi. », dit Paul

Hé ! Tu n’avais pas à le dire comme ça, papa !

« Oh, non. Je vous suis reconnaissante de m’avoir montré à quel point j’étais vaniteuse. », dit Roxy

« Je ne dirais pas que tu es vaniteuse quand tu es capable d’utiliser la magie d’eau de niveau Saint. », avait répondu Paul.

« Même si je n’y arrivais pas, l’ingéniosité de votre fils m’a montré que je suis capable d’utiliser une magie encore plus forte. »

Avec une petite grimace, Roxy avait posé sa main sur ma tête.

« Rudy, je voulais faire de mon mieux pour toi, mais je n’avais pas ce qu’il faut pour t’apprendre. »

« Ce n’est pas vrai. Tu m’as appris toutes sortes de choses, Mlle Roxy. »

« Je suis heureuse de l’entendre », dit Roxy.

« Oh, et ça me fait penser ! »

Elle avait tendu la main dans les plis de sa robe, avait fouillé partout et avait sorti un pendentif ficelé avec un cordon de cuir. Il était fait d’un métal qui brillait d’un lustre vert, façonné en forme de trois lances imbriquées.

« C’est pour commémorer ta remise de diplôme. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour le préparer, mais j’espère que ça suffira. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« C’est une amulette de la tribu des Migurd. Si tu rencontres des démons qui te posent problème, montre-leur ceci et mentionne mon nom, et ils devraient te laisser tranquille… probablement. »

« J’en prendrais soin. »

« Souviens-toi, ce n’est pas une garantie. Ne sois pas trop sûr de toi. »

Puis, à la toute fin, Roxy avait fait un petit sourire et était partie.

Avant de m’en rendre compte, je pleurais.

Si je ne l’avais jamais rencontrée, je serais probablement encore en train de faire ce que j’étais avant, à tâtonner avec mon manuel de magie dans une main.

Mais plus que tout, elle m’avait emmené dehors.

Elle m’avait emmené dehors. C’est tout ce que j’avais à dire. C’était si simple. C’était Roxy qui avait fait ça pour moi. Et ça voulait dire quelque chose. Roxy, qui était venue dans ce village il y a à peine deux ans. Roxy, qui ressemblait à quelqu’un qui ne s’entendait jamais bien avec des étrangers. Roxy, un démon que les villageois auraient dû considérer comme bien inférieur à eux.

Ce n’était ni Paul ni Zenith, c’était Roxy qui m’avait emmené dans le monde extérieur, et ça voulait dire quelque chose.

Je dis qu’elle m’avait emmené dans le monde extérieur, alors qu’en fait, tout ce qu’elle avait fait, c’était me faire traverser le village. Pourtant, la perspective de quitter la maison avait été très traumatisante pour moi, et elle m’en avait guéri, simplement en me faisant traverser le village. C’était suffisant pour me remonter le moral. Elle n’avait pas essayé de me réhabiliter, mais j’avais quand même fait une percée grâce à elle.

Hier, après notre retour à la maison, trempé d’eau, je m’étais tourné vers la porte d’entrée et j’avais fait un pas de plus. Et juste là, il y avait le sol. Juste le sol, et rien de plus. Mes angoisses m’avaient quitté.

Maintenant, j’étais capable de marcher dehors tout seul.

Elle avait réussi à faire quelque chose pour moi que personne d’autre n’eût jamais fait, pas même mes parents ou mes frères et sœurs de ma vie antérieure. C’était elle qui l’avait fait pour moi. On ne m’avait pas donné des paroles irresponsables, mais un sens du courage responsable.

Ce n’était pas son but : je le savais. Elle l’avait fait pour elle-même, et je le savais aussi. Mais je la respectais. Aussi jeune qu’elle fût, je la respectais.

Je m’étais promis de ne pas détourner le regard jusqu’à ce que Roxy disparaisse de la vue. Dans mes mains, j’avais saisi la baguette et le pendentif qu’elle m’avait donné. J’avais toujours tout ce qu’elle m’avait appris.

Puis j’avais réalisé : Dans ma chambre, j’avais encore l’une de ses culottes que j’avais volées il y a quelques mois.

Désolé pour ça, Roxy.

***

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