Mushoku Tensei (LN) – Tome 1 – Chapitre 11

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Chapitre 11 : Départ

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Chapitre 11 : Départ

Partie 1

Un matin, peut-être un mois après avoir dit à Paul que je voulais commencer à travailler, une lettre qui lui était adressée était arrivée chez nous.

C’était probablement la réponse que j’attendais. J’avais fait de mon mieux pour me préparer à la nouvelle sans trop m’impatienter.

Il me le dirait après l’entraînement ? Au déjeuner ? Peut-être au dîner ?

Pour le moment, j’avais décidé de me concentrer sur notre entraînement à l’épée.

◇ ◇ ◇

En fait, il avait choisi d’en parler avant même que nous ayons fini de nous entraîner.

« Hey, Rudy. »

« Oui, Père ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

En essayant de garder mon visage calme, j’attendais avec impatience les prochains mots de Paul. Ça allait être mon premier boulot… dans l’une ou l’autre vie. Je devais le mettre en avant.

Mais au lieu de me donner la bonne nouvelle à laquelle je m’attendais, Paul avait amené la conversation dans une direction étrange.

« Dis-moi quelque chose. Que ferais-tu si je te disais d’arrêter de voir Sylphie pendant un moment ? »

« Quoi ? Euh, je m’y opposerais, évidemment… »

« Très bien, très bien, je m’en doutais. »

« De quoi s’agit-il ? »

« Ah, oublie ça. Inutile d’en parler. Tu me feras tourner en rond, j’en suis sûr. »

À l’instant où ces mots avaient quitté la bouche de Paul, son expression avait changé radicalement. Soudain, une aura meurtrière sortit de ces yeux. Même un amateur comme moi pouvait sentir ce qui se passait.

« Quoi !? »

« … ! »

D’un mouvement doux et intimidant, mon père bondit en avant.

La mort se précipitait droit sur moi, froide et silencieuse.

Agissant par pur instinct, j’avais réagi avec toute ma puissance à ma disposition, utilisant simultanément la magie du feu et du vent pour créer une explosion entre-nous. J’avais sauté en arrière au moment où la vague de vent chaud m’avait frappé, laissant l’impact m’emporter plus loin.

Il se trouve que j’avais joué ce scénario dans ma tête plus d’une fois. Dans un combat contre Paul, je n’avais aucune chance à moins d’avoir mis un peu de distance entre nous au départ. L’explosion me ferait autant de mal qu’à lui, mais tant que je ne broncherais pas, ça me ferait gagner un peu d’espace.

Seulement un peu, bien sûr.

Mon père, totalement indemne, courait toujours vers l’avant, le corps au ras du sol.

Je ne lui avais rien fait du tout !

Je ne m’attendais pas à autre chose, mais c’était quand même terrifiant. J’avais besoin de faire mon prochain mouvement, et vite.

Reculer ne marcherait pas. Le gars qui courait vers l’avant serait toujours plus rapide.

Agissant sur un jugement réflexe, j’avais déclenché une onde de choc juste à côté de moi. Le coup m’avait frappé assez fort pour m’envoyer sur le côté.

Au même instant, j’avais entendu quelque chose trancher l’air près de mon oreille, et mon sang s’était refroidi. L’épée de Paul avait tranché l’espace où ma tête se trouvait une fraction de seconde plus tôt.

Eh bien. Je suppose que c’est bien…

J’avais esquivé la première attaque. C’était très important. Il était encore proche, mais j’avais mis un peu de distance entre nous. J’avais commencé à voir la possibilité que je puisse gagner ce combat.

Alors que Paul se tournait vers moi pour continuer l’attaque, j’avais jeté un sort qui avait transformé le sol devant lui en un trou. Son pied droit était tombé dans le piège.

Il avait instantanément déplacé tout le poids de son corps sur l’autre jambe et s’était libéré, ne manquant même pas un battement.

Putain ! Dois-je attraper ses deux jambes en même temps !?

Cette fois, j’avais transformé le sol autour de moi en une tourbière épaisse et humide. Avant de pouvoir m’y enfoncer, j’avais tiré un petit jet d’eau sur le sol devant moi, ce qui m’avait fait glisser sur la surface.

Quand j’avais réalisé que je n’allais pas assez vite, il était trop tard.

Paul atteignit le bord de mon petit marais et fit un grand bond en avant. La force de sa foulée avait laissé un petit cratère dans le sol.

L’homme allait m’atteindre d’un seul bond.

« Aaaaaaaah ! »

J’avais balancé mon épée dans une panique aveugle, essayant de l’intercepter. C’était une attaque laide et négligente, rien à voir avec les coups que j’avais appris.

La prise de mon épée vacillait désagréablement dans mes mains pendant que mon coup était doucement détourné. Je pouvais dire que Paul avait utilisé une défense du Style Dieu de l’Eau… vu le nombre de fois qu’il m’avait eu avec ça.

Une fois qu’un épéiste du Style du Dieu de l’Eau détourne votre coup, il vous suit toujours avec une contre-attaque. Je savais ce qui allait arriver, mais je ne pouvais rien y faire.

La lame de Paul s’était courbée vers moi pendant un moment qui avait duré une éternité.

Heureusement qu’on utilise que des épées en bois…

Un coup court et violent dans le cou m’avait instantanément assommé.

◇ ◇ ◇

Quand je m’étais réveillé, je m’étais retrouvé dans une sorte de boîte. Compte tenu de tous les bruits de balancement et de cliquetis, il s’agissait probablement d’une sorte de véhicule.

J’avais essayé de m’asseoir, mais j’avais découvert que je ne pouvais pas du tout bouger. En regardant vers le bas, j’avais réalisé que j’étais étroitement lié… avec beaucoup de corde.

Qu’est-ce qui se passe ici ?

J’avais réussi à tourner mon cou assez pour regarder autour de moi, et je vis qu’il y avait une femme avec moi. Elle avait une peau brun foncé, un corps musclé couvert de cicatrices et des vêtements en cuir qui ne laissaient pas grand-chose à l’imagination. Les traits forts de son visage, combinés au cache-œil qu’elle portait, lui donnaient un air de dur à cuire.

C’était à peu près l’image que j’avais d’une guerrière intrépide issue d’un spectacle fantastique… surtout avec ses grandes oreilles poilues et sa queue en forme de tigre.

Apparemment, sentant mes yeux sur elle, la femme me jeta un coup d’œil.

« Enchanté de vous rencontrer. Je m’appelle Rudeus Greyrat. Pardonnez mes manières, je n’arrive pas à me lever pour l’instant. », lui dis-je

Une introduction préventive semblait être la bonne chose à faire. La règle la plus élémentaire de la conversation était de commencer à parler en premier. Une fois que vous avez pris l’initiative, vous pouviez contrôler là où vont les choses.

« Pour le fils de Paul, tu es étrangement poli. »

« Il se trouve que je suis aussi le fils de ma mère. »

« Ah, c’est vrai. Je suppose que tu as du Zenith en toi aussi. »

Apparemment, elle connaissait mes deux parents. C’était un soulagement.

« Je m’appelle Ghislaine. On fera connaissance à partir de demain, petit. »

À partir de demain ? Quoi ?

« Hum, eh bien, d’accord. Enchantée, Ghislaine. »

« Oui. Moi de même. »

À ce moment-là, j’étais allé de l’avant et je brûlais les cordes autour de moi avec un peu de magie du feu.

Mon corps me faisait un mal de chien. Ce n’était pas trop surprenant, puisque je n’avais pas dormi dans un endroit des plus confortables. J’avais tendu les bras et les jambes pour avoir enfin le plaisir de me détendre. Bien sûr, j’avais passé la majeure partie de ma vie antérieure assise dans une petite pièce exiguë, ne bougeant rien d’autre que mes doigts, mais cela ne voulait pas dire que je voulais passer autant de temps allongé, attaché et impuissant aux pieds d’une vieille dame à l’air sadique. Elle était peut-être devenue un peu mal à l’aise au bout d’un moment.

Il y avait des bancs à l’avant et à l’arrière de notre petite « boîte », alors je m’étais assis en face de Ghislaine. Les fenêtres à gauche et à droite offraient une vue sur le monde extérieur, rien de ce que je voyais à l’extérieur ne me semblait familier.

OK, donc c’était à tous les coups un véhicule.

Il se balançait si vigoureusement que j’avais un peu peur d’être malade et j’entendais une sorte d’occlusion venant de la direction dans laquelle nous allions. Il semblait raisonnable de supposer qu’il s’agissait d’une calèche tirée par des chevaux.

Alors c’était donc vrai. Je faisais une balade en calèche avec une machiste, pour des raisons que je ne comprenais pas du tout.

Gah ! A-Ai-je été kidnappé par un haltérophile ? A-t-elle volé le plus mignon garçon de tout le pays pour être son esclave ?

S’il te plaît, aie pitié ! Je… Je… J’aime bien les filles musclées, oui… mais j’ai déjà promis mon cœur à Sylphie !

Attends, attends. Ce sont de mauvaises pensées.

C,c,c,calme-toi, crétin. Dans ces moments-là, un homme doit rester cool ! Compte les nombres premiers dans ta tête jusqu’à ce que tu te détendes ! Souviens-toi de ce qu’un prêtre a dit.

« Les nombres premiers sont des nombres solitaires, divisibles par un et par eux-mêmes… ils vont me donner de la force ! »

Trois. Cinq. Uhm… onze. Treize… ? Euh, euh… Je ne m’en souviens pas, bon sang !

OK, on s’en fout des nombres premiers. Calme-toi, mec. Réfléchis calmement. Tu dois comprendre ce qui se passe ici. Respire profondément. Respire profondément.

« Hooo... haaaaa... »

C’est ça, mon gars.

Maintenant, reconstituons ça du mieux qu’on le peut.

Tout d’abord, Paul m’avait attaqué sans raison apparente et m’avait frappé sans raison. Et quand je m’étais réveillé, je m’étais retrouvé dans une voiture, les mains et les pieds liés. Il m’aurait assommé pour une raison précise et m’aurait jeté ici.

La seule autre personne dans cette voiture était une machiste qui disait que nous ferions connaissance à partir de demain.

Maintenant que j’y pensais… Paul avait aussi dit quelque chose d’étrange juste avant de m’attaquer.

Quelque chose comme : « Arrête de voir Sylphie. »

Ou peut-être : « Sylphie est trop bien pour des gens comme toi. »

C’était difficile de penser clairement en ce qui concernait Sylphie. J’avais complètement déraillé en un rien de temps.

Putain de merde. Tout est de la faute de Paul…

Ah, eh bien, je suppose que je vais devoir le demander.

« Hum, mademoiselle ? »

« Tu peux m’appeler Ghislaine. »

« Oh, d’accord. Dans ce cas, tu peux m’appeler Ruru. »

« Entendu, Ruru. »

Très bien. Donc, la femme ne comprenait pas vraiment les blagues quand elle en entendait une.

« Mlle Ghislaine, mon père t’a-t-il dit ce qui se passe ici ? »

« Juste Ghislaine, petit. Pas besoin de rajouter un Mlle. »

Pendant qu’elle parlait, Ghislaine mit la main dans sa veste pour récupérer une lettre et me la remise. Le devant était complètement vide.

« C’est pour toi, de la part de Paul. Lis-le à haute voix, d’accord ? Je ne suis pas très douée pour écrire. »

« D’accord. »

En ouvrant la feuille de papier mal pliée, j’avais commencé à lire.

« À mon cher fils Rudeus. Si tu lis cette lettre, cela signifie que je ne suis plus dans ce monde. »

« Quoi, quoi !? », cria Ghislaine en sautant sur ses pieds.

Heureusement que cette voiture avait un plafond haut.

« Asseyez-vous, Ghislaine. Il y a plus encore. »

« Hm. Exact… »

Juste comme ça, elle s’était assise à nouveau.

« Désolé, je plaisante ! J’ai toujours voulu l’essayer sur quelqu’un. Bon, de toute façon. Je t’ai fait tomber dans la boue, je t’ai ligoté et je t’ai jeté dans une voiture comme un bandit qui enlève une princesse. Je suppose que tu te demandes ce qui se passe, hein ? Idéalement, la boule de muscle se trouvant à côté de toi t’expliquera tout… mais malheureusement, son cerveau a muté en un biceps supplémentaire il y a quelque temps, donc je ne pense pas que ça va marcher. »

« Qu’est-ce que c’était !? », cria Ghislaine, sautant à nouveau sur ses pieds.

« Assieds-toi, Ghislaine. La suite n’est que des compliments. »

« Hm. Exact. »

Elle s’était rassise.

D’accord, passons à la suite.

« Cette femme est une épéiste de niveau Roi. Quand il s’agit d’épée, tu ne trouveras pas de meilleur professeur dans tout Sword Sanctum. Fais confiance à ton père sur ce coup-là : elle est vraiment très douée. Je n’ai jamais eu le dessus sur elle… sauf au lit. »

Papa. S’il te plaît. Ne pouvais-tu pas laisser cette dernière partie de côté ?

Ghislaine n’avait pas l’air vraiment mécontente. Le vieil homme était certainement populaire auprès des dames.

Bref… Je voyageais manifestement avec une sacrée combattante.

« Maintenant, passons à ton travail. Tu vas donner des cours à une jeune femme à Roa, la plus grande ville de la région de Fittoa. Apprends-lui à lire, à écrire, à compter et à faire de la magie, d’accord ? C’est une gamine gâtée et violente à qui on a demandé de quitter son école, et elle a déjà chassé un certain nombre d’autres tuteurs. Mais j’ai foi en toi, fiston ! Je suis sûr que d’une façon ou d’une autre tu te débrouilleras. »

Wôw. Très utile, Paul.

« Euh… tu n’as pas l’air vraiment gâtée, Ghislaine… »

« Je ne suis pas la jeune femme en question. »

« C’est vrai. Bien sûr. »

OK, continuons d’avancer.

« Ce morceau de muscle avec toi travaille pour la famille de la jeune femme en tant que garde du corps et professeur d’escrime. En échange de t’entraîner à l’épée, elle veut que tu lui apprennes à lire, à écrire et à calculer. Je sais, c’est une demande ridicule venant d’une femme avec un biceps au cerveau, mais essaye de ne pas rire à voix haute. Elle est probablement sérieuse. »

« Ce fils de… »

Est-ce que je me faisais des idées, ou est-ce que c’était une veine qui palpitait sur le front de Ghislaine ? Le but principal de cette lettre était de m’expliquer la situation, mais le but secondaire de Paul était clairement de l’énerver. La nature de leur relation m’avait rendu curieux.

« Elle n’apprendra pas vite, j’en suis sûr, mais ce n’est pas une si mauvaise affaire. Au moins, tu n’auras pas à payer tes leçons. »

Mes leçons, hein ? C’est vrai. Je suppose que c’est ma nouvelle instructrice à partir de maintenant…

***

Partie 2

L’art du sabre de Paul était surtout basé sur l’instinct. Peut-être qu’il pensait que j’avais en ce moment besoin d’un meilleur professeur. Ou peut-être qu’il en avait eu marre de me voir ne pas m’améliorer du tout.

Je pense que tu aurais pu tenir un peu plus longtemps, mec…

« Combien cela m’aurait coûté mon apprentissage de l’épée par toi, Ghislaine ? »

« Deux pièces d’or d’Asura par mois. »

Combien !?

J’étais presque sûr que Roxy avait gagné cinq pièces d’argent par mois quand elle me donnait des cours particuliers. Cette dame se faisait payer environ quatre fois plus cher.

C’était donc vraiment une bonne affaire. Une personne normale à Asura pouvait vivre avec environ deux pièces d’argent par mois.

« Pendant les cinq prochaines années, tu resteras chez la jeune femme pour lui apprendre. Cinq années entières, compris ? Tu ne peux pas rentrer à la maison avant. Et pas de lettres non plus. Sylphie n’apprendra jamais à se débrouiller toute seule si tu continues à traîner dans le village. Et tu devenais de plus en plus dépendant d’elle. C’est pour ça que j’ai décidé de vous séparer tous les deux. »

« Attends… quoi ? »

Attends une seconde. Quoi ?

Es-tu sérieux ? Je ne peux pas voir Sylphie pendant cinq ans ? Je ne peux même pas écrire des lettres !?

« Qu’y a-t-il, Ruru ? As-tu rompu avec ta copine ? », demanda Ghislaine, apparemment amusée par l’expression du désespoir sur mon visage.

« Non. Mon puéril père tyrannique nous a séparés par la force. »

Je n’avais même pas eu l’occasion de lui dire au revoir. Bon sang, Paul. Tu paieras pour cela…

« Tiens bon, Ruru. Ça va aller. »

« Uhm… »

« Quoi ? »

« En fait, je pense que je préférerais que tu m’appelles Rudeus. »

« Hmm. Très bien. »

Maintenant que j’y pensais, Paul avait raison. Au rythme où allèrent les choses, Sylphie aurait pu devenir un personnage d’« ami d’enfance » d’un Light Novel particulièrement merdique. Vous savez… le genre de personne qui s’attachait constamment au protagoniste, tournant autour de lui comme un satellite, et ne développant jamais une personnalité qui lui était propre.

Dans le monde réel, une fille comme elle se faisait ses propres amis et apprenait de nouvelles choses à l’école. Mais à cause de ses cheveux, Sylphie allait toujours avoir du mal avec ça. Il y avait de fortes chances qu’elle soit restée collée à mes côtés pendant des années et des années.

C’était logique. Paul avait pris la bonne décision cette fois-ci.

« Quant à ta rémunération, tu recevras deux pièces d’Asura en argent par mois. C’est moins élevé que le salaire courant pour un tuteur résidant, mais c’est plus que suffisant pour l’allocation d’un enfant. Quand tu auras un peu de temps libre, essaye d’aller en ville pour te faire une idée de l’argent que tu dépenses. Un peu de pratique est la meilleure façon de t’assurer que tu pourras utiliser ton argent efficacement lorsque tu en as vraiment besoin. Mais peut-être que ce ne sera même pas un problème pour un enfant aussi doué que toi.

De plus, une fois que tu auras terminé cinq années de service constant et que tu auras fourni à la jeune femme une éducation solide à tous égards, ton contrat te donne droit à une récompense spéciale : un paiement couvrant les frais de scolarité pour deux personnes à l’Université de Magie. »

Hrm. Je vois.

En d’autres termes, une fois que j’aurais fait mon temps comme tuteur, Paul allait me laisser faire ce que je voulais… juste comme il l’avait promis.

« Bien sûr, il n’y a aucune garantie que Sylphie voudra te suivre dans cinq ans, et tu pourras te désintéresser d’elle. Mais en tout cas, je m’assurerai de lui expliquer parfaitement la situation. »

Je ne suis pas sûr de te faire confiance sur ce coup-là, mon cher père.

« J’espère que les années que tu passeras dans ce nouvel environnement t’apprendront beaucoup de choses et te permettront de développer encore plus tes talents. Sincèrement, votre noble, sage et brillant père, Paul. »

Brillant mon cul ! Tout ton plan consistait simplement à me battre pour que je me soumette !

Néanmoins, j’avais dû admettre que sa ligne de pensée générale était assez solide. C’était pour le mieux, pour Sylphie et moi. Elle pourrait bien redevenir une solitaire, mais… à moins qu’elle n’apprenne à faire face à ses propres problèmes, elle n’allait jamais vraiment grandir en tant que personne.

« Paul t’aime vraiment, n’est-ce pas ? », m’avait dit Ghislaine.

Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire un peu.

« Il était un peu distant, mais il avait commencé à s’intéresser à la paternité. Bref, on dirait qu’il t’aime bien aussi, Ghislaine… »

« Hm ? Pourquoi dis-tu ça ? »

J’avais lu la dernière ligne de la lettre à haute voix.

« P.S. N’hésites pas à draguer la jeune femme tant que c’est consensuel, mais cette boule de muscles est déjà à moi, alors n’y touches pas. »

« Hmm. Envoie cette lettre à Zenith pour moi, veux-tu ? », dit Ghislaine.

« Cela ressemble à un plan. »

C’était ainsi que je m’étais retrouvé à la Citadelle de Roa, la plus grande ville de la région de Fittoa.

J’avais des sentiments mitigés à ce sujet, bien sûr, mais c’était vraiment pour le mieux. Je ne pouvais pas rester avec Sylphie, alors c’était quelque chose qui devait arriver. Je n’étais certainement pas du tout amer à ce sujet. Non.

Eh bien… peut-être que j’arriverais à m’en convaincre à un moment donné. Je n’en étais pas encore là.

◇ ◇ ◇

Point de vue de Paul

« P-putain, c’était proche… »

Mon fils était étendu inconscient sur le sol devant mes chaussures sales et couvertes de boue.

Comme c’était le dernier jour où je pourrais lui apprendre l’épée, j’avais décidé de mettre la crainte de Dieu en lui avant de l’assommer, mais le gamin avait en fait lancé une série de sorts au moment où j’agissais.

N’était-ce pas juste un tas d’attaques lancées dans la panique, sans plus ? Il essayait principalement de me ralentir. Et chaque fois qu’il lançait quelque chose, c’était un sort différent.

« D’accord, c’est bien mon fils. Le gamin a le don de se battre… »

Bien sûr, le combat n’avait duré que quelques secondes. Mais c’était une attaque-surprise complète, et j’avais encore besoin de trois étapes pour l’abattre. Cette dernière allait être particulièrement dangereuse. Si j’avais hésité même légèrement, il aurait collé mes jambes et m’aurait fait perdre en un rien de temps.

Trois pas, c’était trop quand on se battait contre un magicien. S’il avait été dans un groupe, l’un de ses alliés serait intervenu pour le protéger au moment où j’aurais pris mon deuxième pas. Et s’il y avait un peu plus de distance entre nous, j’aurais peut-être besoin de quatre pas.

À toutes fins utiles, le gamin avait eu le meilleur sur moi. Vous pourriez probablement le jeter dans un groupe d’aventuriers en ce moment. Il apporterait sans doute une grande contribution dans un donjon.

« J’imagine que l’on ne s’attendrait pas moins d’un prodige qui a donné un complexe d’infériorité à un magicien de niveau Saint… »

Le garçon était carrément terrifiant. Mais pour une raison quelconque, cela m’avait rendu heureux. Jusqu’à présent, j’étais toujours jaloux de quelqu’un de plus doué que moi… mais en ce qui concernait mon fils, tout ce que je ressentais, c’était de la fierté.

« OK, ce n’est pas le moment de me parler à moi-même. Finissons-en avant que Laws n’arrive jusqu’ici… »

J’avais rapidement procédé à l’arrimage de mon fils. La voiture était arrivée quand j’avais fini, et alors je l’avais ramassé et que je m’étais préparé à le jeter dedans.

Bien évidemment, Laws avait choisi ce moment pour venir avec Sylphie en remorque.

« Rudy !? »

Voyant son camarade de jeu pieds et poings liés, la jeune fille avait immédiatement lancé un sort offensif de niveau intermédiaire sur moi sans même une incantation. Je l’avais repoussé assez facilement, mais en plus du lancement de sorts silencieux, la puissance et la vitesse de l’attaque étaient toutes deux impressionnantes. Elle aurait pu facilement tuer une personne normale.

Merde, Rudeus. Ne lui apprends pas ces conneries…

Après avoir remis ma lettre à Ghislaine, j’avais sans cérémonie jeté Rudeus dans la voiture et j’avais fait savoir au cocher qu’il était prêt à partir.

En jetant un coup d’œil, je vis Laws accroupi à côté de Sylphie, lui parlant fermement, mais discrètement.

Ouais, c’est comme ça. C’est le travail des parents d’apprendre à leurs enfants ce qui est bon pour eux.

Laws avait permis à Rudeus d’assumer plusieurs de ses fonctions, mais maintenant il aurait l’occasion de reprendre son rôle légitime. Expirant doucement, je regardais de loin la petite conférence de famille. Après un moment, le vent m’avait porté la voix de Sylphie.

« Non… Je vais devenir assez forte pour aider Rudy ! »

Hmm. Cette fille t’adore vraiment, mon fils.

C’était à ce moment que mes deux épouses étaient sorties de la maison. Je leur avais dit de rester à l’intérieur si elles voulaient regarder, surtout pour leur propre sécurité. Mais je supposais qu’elles voulaient au moins voir le garçon partir.

« Oh, mon doux petit Rudy me quitte ! »

« Soyez courageuse, Madame. C’est une épreuve que nous devons endurer ! »

« Je sais, Lilia. Je sais ! Oh, Rudeus, Rudeus ! Mon petit fils s’en va ! Il va laisser sa pauvre mère toute seule. Malheur à moi ! »

« Vous n’êtes pas seule, Madame.Votre enfant n'est pas seul ! »

« Tu as raison, bien sûr. Il a deux petites sœurs maintenant. »

« Deux !? Oh, Madame ! »

« Bien sûr, Lilia. J’aimerai ton enfant autant que le mien ! Autant que je t’aime ! »

« Oh, Madame ! Je ressens la même chose ! »

Pour une raison ou une autre, Zenith et Lilia avaient joué une scène théâtrale étrange alors que la voiture s’élançait sur la route. Je supposais qu’elles n’étaient pas très inquiètes pour Rudeus. Après tout, le gamin avait une tête solide sur les épaules.

En tout cas… ces deux-là s’entendent bien de nos jours. J’aimerais qu’elles soient aussi amicales avec moi. Ou au moins qu’elles arrêtent de se liguer contre moi.

« Mais… Je suppose que Rudeus ne sera pas là pour regarder les petites grandir, hein ? »

Je savais qu’il avait l’intention de devenir le « meilleur grand frère de tous les temps », mais les choses n’allaient pas se passer comme ça.

Pas de chance, petit. Papa va recevoir l’amour de toutes ses petites filles ! Eheheheheheh.

Hm. Attendez une seconde. Maintenant que j’y pense.

Rudeus était sur le point de commencer un entraînement spécial et accéléré sous la direction d’une épéiste de niveau Roi. Dans cinq ans, il aura douze ans. Il sera beaucoup plus grand et plus fort qu’il ne l’était maintenant. S’il y avait un autre combat à son retour, est-ce que j’aurais au moins une chance ?

Et bien. Ma dignité paternelle est en jeu.

« Zenith, ma chère ? Lilia? Maintenant que Rudy nous a quittés, je pense que je vais devoir m’entraîner un peu également. »

Zenith m’avait jeté un regard désintéressé. Lilia se pencha pour chuchoter dans son oreille.

« Est-ce qu’il lui a vraiment fallu une quasi-défaite pour qu’il réalise que le jeune maître pourrait bientôt le surpasser ? »

« Honnêtement, il est toujours comme ça. Il ne fait jamais d’efforts jusqu’à ce que quelqu’un l’embarrasse presque. »

Apparemment, il me manquait vraiment quelque chose au niveau de ma dignité paternelle.

Et puis, à quoi bon ? D’ailleurs, à quoi sert la dignité ? Mon père était un tas de fierté et de noblesse, et je ne l’avais jamais vraiment aimé. Je voulais être un père aimable et aimant, pas un père digne.

On aura eu le temps d’y réfléchir plus tard. Des pensées m’avaient traversé l’esprit alors que la voiture de Rudeus s’éloignait tout en faisant du bruit sur la route.

Rudeus…

Crois-moi, ce n’est pas non plus comme ça que je voulais agir. Je ne pense pas que tu aurais accepté mon plan, et je ne suis pas sûr que j’aurais pu te laisser convaincre par mon discours.

Mais… en tant que ton père, je ne pouvais pas ne rien faire. Pour l’instant, je vais te confier à quelqu’un d’autre, mais je pense que c’était comme ça que ça devait se passer.

Je sais que je ne t’ai pas laissé le choix, mais je suis sûr qu’un enfant intelligent comme toi comprendra. Les expériences que tu vas vivre là-bas n’auraient pas été possibles dans ce village. Même si tu ne comprends pas mes raisons, faire face aux défis qui t’attendent te rendra à la fin plus fort.

Tu peux m’en vouloir autant que tu le veux. Tu m’en veux, et tu t’en veux de m’avoir laissé faire ça.

J’ai grandi sous la coupe de mon père, tu sais ? J’ai fini par m’enfuir, plutôt que de lui faire face.

Dans une certaine mesure je le regrette. Et j’aurais aimé faire certaines choses différemment.

Je ne veux pas que tu ressentes ça, bien sûr. Mais tu sais… m’enfuir comme ça m’a rendu plus fort. Je ne sais pas si je suis plus fort que mon père, mais j’ai trouvé des femmes que j’aimais, j’ai protégé les choses auxquelles je tenais et je suis devenu assez fort pour mettre la pression sur mon propre enfant.

Tu veux te défendre ? Cela ne me dérange pas. Vas-y, amuse-toi bien.

Reviens plus fort, petit.

Assez fort pour tenir tête à ton tyran de père.

***

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