Mushoku Tensei (LN) – Tome 1 – Chapitre 10

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Chapitre 10 : Croissance retardée

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Chapitre 10 : Croissance retardée

Partie 1

J’avais maintenant sept ans.

Mes deux petites sœurs, Norn et Aisha, grandissaient rapidement. Elles pleuraient quand elles se pissaient dessus, elles pleuraient quand elles se chiaient dessus, elles pleuraient quand elles étaient contrariées par quelque chose, et elles pleuraient aussi quand elles ne l’étaient pas. Elles pleuraient au milieu de la nuit, et elles pleuraient à la première heure le matin, et alors que l’après-midi se déroulait, il y avait des gémissements particulièrement énergiques.

Peu de temps après, Paul et Zenith avaient eu une dépression nerveuse commune. La seule qui gardait son calme, c’était Lilia.

« Tu vois ! Voilà comment on éduque des enfants ! Les choses avec le jeune Rudeus étaient beaucoup trop faciles ! On pouvait difficilement appeler ça une vraie éducation d’enfant ! », dit-elle tout en s’occupant habilement des deux filles, comme elle le faisait d’habitude.

Dans mon cas, j’avais déjà l’habitude des pleurs des bébés, grâce à mon jeune frère de mon existence antérieure, donc ça ne me dérangeait pas beaucoup. Et, je ne veux pas me vanter, mais j’avais de l’expérience pour m’occuper des bébés — encore une fois, grâce à mon frère — alors je changeais rapidement les couches et je m’occupais de la lessive et du nettoyage. Paul me regardait, tout en ayant l’air embarrassé. Tout comme un Japonais né avant la Seconde Guerre mondiale, il ne savait pas comment faire quoi que ce soit à la maison.

Certes, son habileté à manier l’épée était indéniable, et les gens de la ville le tenaient en estime, mais il n’était que la moitié de l’homme qu’il devait être pour être un père.

Et c’était pourtant sa deuxième fois. Bon sang de bonsoir.

◇ ◇ ◇

Paul était peut-être un déchet humain, mais je pourrais dire ça pour lui : il était bon avec une épée. Voici ses compétences :

Style du Dieu de l’Epée : Avancé.

Style du Dieu de l’Eau : Avancé.

Style du Dieu du Nord : Avancé.

Ouais. Il était au niveau Avancé dans les trois écoles. Pour mettre cela en perspective, ils avaient dit qu’il fallait dix bonnes années de dévouement à une personne talentueuse pour atteindre le niveau Avancé dans une école donnée. En termes de kendo, c’était quelque part autour du quatrième ou cinquième dan. Le niveau intermédiaire se situait entre le premier et le troisième dan, et c’était le grade auquel quelqu’un était considéré comme un chevalier à part entière. Pour atteindre le niveau Saint, il fallait le talent de quelqu’un étant de sixième dan ou plus, mais cela n’avait pas d’importance ici.

Pour résumé, Paul possédait des compétences équivalentes à celles d’une personne qui avait atteint le quatrième dan en kendo, judo et karaté - et il avait abandonné tout cela avant de terminer son entraînement. Il était un mauvais exemple en tant qu’adulte, mais en termes de force, l’homme était un véritable dur à cuire. De plus, pour quelqu’un qui n’avait qu’une vingtaine d’années, il avait une expérience de combat dans le monde réel presque effrayante.

Cette expérience l’avait rendu à la fois rusé et pragmatique. C’était quelque chose d’intuitif, je n’en comprenais à peine la moitié, mais je pouvais dire que c’était lui le vrai problème. Au cours de mes deux années d’entraînement avec Paul, je n’avais même pas franchi le niveau Débutant. Peut-être que cela pourrait changer après que mon physique se soit développé davantage en quelques années, mais pour l’instant, peu importait les simulations mentales que j’avais faites, je n’avais aucune chance de le vaincre. Même si j’utilisais pleinement toute ma panoplie de sorts et que j’essayais autant de sales tours que je le pouvais, la victoire ne me semblait pas du tout à ma portée.

J’avais déjà vu Paul combattre des monstres.

En fait, c’était plus juste de dire qu’il me l’avait montré. On lui avait dit que des monstres étaient apparus et qu’il m’y avait amené pour que je puisse regarder à distance, affirmant que « voir une bataille serait une bonne expérience » pour moi.

Et je vais vraiment être honnête sur ce point : c’était vraiment incroyable.

Paul était confronté à quatre monstres. Trois d’entre eux étaient ce que nous appelions des chiens d’assaut, des monstres canins qui se déplaçaient comme des dobermans entraînés. Le quatrième était un monstre porcin bipède à quatre bras, connu sous le nom de Sanglier Terminator. Le sanglier était sorti de la forêt avec les trois chiens en formation derrière lui.

Paul les combattait avec aisance, les décapitant tous d’un seul coup.

Je vais le redire : c’était vraiment incroyable.

Son style de combat possédait une certaine beauté, un rythme mystérieux qui faisait battre votre cœur, tout en vous mettant à l’aise en regardant. Je n’avais aucun bon moyen de l’expliquer, mais si je devais le résumer en un seul mot, je dirais que c’était du charisme.

Le style de combat de Paul était plein de charisme. Il avait gagné la confiance absolue des hommes sous ses ordres, gagnés le cœur de Zenith et la convoitise de Lilia, et même alimenté les passions de Mme Eto. C’était le type le plus désirable de tout le village.

Le charisme mis à part, j’étais reconnaissant d’avoir Paul dans les parages, d’avoir quelqu’un de plus puissant que moi si près de moi. S’il n’avait pas été là, j’aurais pu devenir un voyou arrogant. J’aurais laissé mon talent en magie me convaincre de défier des monstres dans un combat, et, incapable de gérer une meute de chiens d’assaut, j’aurais fini par être littéralement déchiré en morceaux.

Et si les monstres ne l’avaient pas fait, les gens l’auraient fait. Si j’avais laissé mes compétences me monter à la tête, j’aurais certainement choisi de me battre avec quelqu’un que je ne pourrais pas battre. C’était une histoire commune, et j’aurais aussi mérité ce que me serai arrivé alors.

Les épéistes de ce monde avaient des compétences qui allaient au-delà de ce à quoi j’étais habitué. Ils pouvaient courir à des vitesses approchant les cinquante kilomètres à l’heure, et leurs réflexes et leur capacité à suivre les mouvements étaient assez impressionnants. Grâce à l’existence de la magie de guérison, la mort par blessure était quelque chose qui pouvait être évité, donc ces épéistes s’exerçaient à tuer leurs ennemis en un seul coup. Dans un monde où les monstres existaient, il était logique que les gens deviennent si puissants.

Pourtant, même Paul n’était qu’au niveau Avancé. Il y avait beaucoup de gens qui étaient mieux classés officiellement que lui. Et il y avait suffisamment d’individus et de monstres de renommée mondiale que Paul ne pouvait espérer vaincre, même s’il avait des renforts pour l’aider.

Il existait, après tout, toujours une personne qui était plus forte que vous.

J’étais reconnaissant que Paul m’ait appris à manier l’épée. Mais à part ça, il n’était toujours pas bon en tant que père. Il était comme un médaillé d’or olympique qui s’était aussi avéré être un criminel notoire.

◇ ◇ ◇

Un jour, je travaillais à la pratique de mon épée avec Paul, comme je le faisais habituellement. Une fois de plus, je pouvais dire que je n’allais pas le battre ce jour-là. Je ne le battrais probablement pas le lendemain non plus. Dernièrement, je n’avais pas du tout eu le sentiment de m’améliorer. Néanmoins, si je ne faisais rien, je n’irais certainement pas mieux.

En outre, même si je ne ressentais pas ce sentiment d’amélioration, mon corps continuait à intérioriser la pratique. Probablement. Je veux dire, ça devait l’être, non ?

Alors que je réfléchissais à cela, Paul rompit le silence.

« À propos, Rudy, » dit-il, comme s’il se souvenait soudainement de quelque chose, à propos de l’école…

Il s’interrompit rapidement.

« Non, tu n’as probablement pas besoin de ça. Ça ne fait rien. Revenons-y. »

Il reprit son épée d’entraînement comme si de rien n’était.

Je n’allais pas laisser passer ça.

« Que veux-tu dire par école ? », avais-je demandé.

« Il y a un établissement d’enseignement à Roa, la capitale de Fittoa, où ils enseignent des choses comme la lecture et l’écriture, l’arithmétique, l’histoire, l’étiquette, et ce genre de choses. »

« J’en ai entendu parler. »

« Normalement, tu pourrais y aller à ton âge, mais… tu n’en as probablement pas besoin, hein ? Tu sais déjà lire, écrire et faire des calculs, n’est-ce pas ? »

« Eh bien, oui. »

J’avais laissé tout le monde penser que Roxy m’avait appris l’arithmétique. Avec deux nouvelles filles, la situation financière à la maison s’était assombrie et, avec Zenith qui analysait sans cesse nos livres de comptes, j’avais décidé de l’aider, à son grand désarroi. Il semblerait y avoir un autre tollé devant mon génie, alors j’avais laissé échapper le nom de Roxy pour éviter cela.

Et hé, si cela faisait monter Roxy dans leur estime, tant mieux.

« Mais l’école m’intéresse. Il y aura beaucoup d’autres enfants de mon âge là-bas, non ? Peut-être que je pourrais me faire des amis. »

Paul déglutit, comme s’il avait la gorge serrée.

« Je veux dire, ce n’est pas un endroit si génial que ça. L’étiquette n’est qu’un non-sens étouffant, le fait de savoir l’histoire n’aide en rien, et tu vas certainement te faire intimider. Une bande de mômes nobles du coin seront là, bien sûr, et ils deviendront tous méchants quand ils ne sont pas numéro un. Avec un gamin comme toi, ils formeront probablement une clique et te bousculeront. Et comme mon père était marquis, avec un statut encore plus bas que le mien, tu seras encore plus perçu comme un parvenu. »

Le récapitulatif de Paul semblait venir d’une expérience personnelle. Il s’était enfui de chez lui parce qu’il était dégoûté par son père rigide et la noblesse corrompue. L’étiquette et l’histoire faisaient partie intégrante de la vie d’un vrai noble d’Asura, il devait donc trouver ces sujets difficiles à tolérer.

Une tension indubitable avait rempli l’air entre nous pendant que nous parlions.

« Vraiment ? J’aurais pensé que cette noble femme avait de jolies filles. », avais-je demandé

« Laisse-moi t’arrêter tout de suite. Les filles nobles tapissent leurs visages épais avec du maquillage, s’agitent obsessivement sur leurs coiffures, et puent le parfum. Je veux dire, bien sûr, certaines d’entre elles pratiquent l’art de l’épée, mais la plupart d’entre elles gardent leur corps caché sous des corsets, et tu ne peux pas savoir ce qu’il y a tant que tu ne leur enlèves pas leurs vêtements. Ton père s’est fait avoir plusieurs fois sur ce front. »

Paul avait un regard lointain dans les yeux quand il parlait.

***

Partie 2

Ugh. Le voilà encore une fois. Quel tas de conneries !

« Dans ce cas, peut-être que je n’irai pas à l’école. », avais-je dit.

Il y avait pour commencer encore beaucoup de choses que je voulais apprendre à Sylphie. Et je devrais être fou pour aller quelque part où j’étais sûr d’être victime d’intimidation. Je n’avais pas été enfermé pendant près de vingt ans pour rien.

« Bonne décision. Si tu n’as pas envie d’aller à l’école, tu peux devenir un aventurier et aller explorer des donjons. »

« Un aventurier ? »

« Ouais. Explorer des donjons est juste génial. Les dames ne se maquillent pas, donc on voit d’un coup d’œil qui est jolie et qui ne l’est pas. Et qu’elles soient épéistes, soldates ou sorcières, elles sont toutes en pleine forme. »

Si on met de côté certaines choses qu’il a dites, j’étais d’accord. D’après ce que j’avais lu, les donjons étaient eux-mêmes une sorte de monstre. Ce n’était au départ que de simple caverne, mais ils avaient été modifiés par des accumulations d’énergie magique, les transformant en donjons.

Au plus profond du donjon se trouvait un cristal magique que l’on pourrait considérer comme la source d’énergie, qui était protégée par un boss qui en était le gardien. Ce cristal magique était un appât, dégageant une énergie puissante et attrayante. Les monstres avaient été attirés par cette énergie et s’étaient frayé un chemin dans le donjon, où ils étaient tombés dans des pièges, étaient morts de faim, ou avaient été tués par le boss qui gardait le cristal. Le donjon avait ensuite absorbé l’essence magique de ces monstres morts.

Cependant, les cristaux magiques des donjons nouvellement formés avaient souvent été dévorés par des monstres. Le cristal était aussi souvent brisé par l’effondrement de la caverne. Entendre que certains d’entre eux avaient rencontré de telles fins les avait fait ressembler d’autant plus à des créatures vivantes.

Mais les monstres n’étaient pas les seuls à être attirés par ces cristaux magiques. Les humains les trouvaient aussi très tentants. Les cristaux pouvaient être utilisés comme catalyseurs pour certains sorts, et leur prix était assez élevé. Le prix augmentait en fonction de la taille, mais même un petit cristal rapportait assez pour permettre à quelqu’un de vivre une année complète dans l’abondance. Et si ces cristaux magiques étaient les seuls trésors auxquels les monstres tenaient, ce n’était pas le cas pour les humains.

Avec le temps, l’équipement qui appartenait aux monstres et aventuriers dévorés par le donjon allait s’imprégner d’une énergie magique. Ils étaient devenus une nouvelle sorte d’appât : c’était des objets magiques.

Les objets magiques différaient des instruments magiques en ce sens qu’ils pouvaient être utilisés sans puiser dans l’énergie magique de celui qui les utilisait. La plupart des objets magiques, cependant, n’avaient pas de capacités utiles, la majorité d’entre eux avaient des pouvoirs qui ne valaient rien. Pourtant, il y avait une chance que vous en trouviez un parmi eux qui donnait à l’utilisateur les capacités de quelqu’un qui était un magicien de niveau Saint. Des objets comme celui-ci se vendaient à un prix faramineux, et les gens allèrent dans des donjons avec le rêve de les trouver afin de devenir rapidement riche.

La plupart d’entre eux tombèrent avant d’avoir pu atteindre leur récompense, leur mort nourrissant ainsi le donjon, qui prenait leur essence magique et l’utilisait pour grandir et s’approfondir. C’était ainsi que les donjons les plus anciens avaient vu leurs profondeurs se remplir de trésors.

Le plus ancien et le plus profond donjon connu était la fosse du Dieu Dragon, située au pied de la montagne sacrée du Mont Dragon, dans la chaîne de montagnes Red Wyrm. D’après ce que j’avais lu, il existait depuis au moins dix mille ans, et on estimait qu’il comptait environ deux mille cinq cents étages.

Apparemment, ce donjon colossal était relié à un trou au sommet du mont Dragoncry lui-même. En sautant dedans, vous pourriez probablement plonger jusqu’à l’étage le plus profond, mais aucun de ceux qui avaient essayé cette cascade n’était jamais revenu vivant.

Ce « trou » n’était pas un cratère volcanique, d’ailleurs. Le donjon lui-même l’avait soi-disant créé pour consommer les dragons rouges, quand il passait par là, la fosse l’aspirait dans sa gueule.

Il n’y avait pas beaucoup de preuves à l’appui de ce mythe particulier. Mais cela n’aurait pas été trop surprenant, étant donné que la fosse était un monstre vraiment ancien.

Quant aux labyrinthes les plus difficiles… vous aviez l’Enfer, le bien nommé, situé sur le Continent Divin, et la Grotte du Diable, qui se trouvait au milieu de la mer Ringus. Ces deux-la étaient extrêmement difficile d’accès, ce qui signifiait qu’il était pratiquement impossible de se réapprovisionner à votre arrivée. Compte tenu de leur grande profondeur et du fait que vous ne pouviez pas vraiment prendre votre temps pour les explorer, ils avaient acquis la réputation d’être les épreuves les plus difficiles auxquelles un aventurier pouvait être confronté.

C’était grosso modo l’étendue de mes connaissances sur le sujet à l’heure actuelle.

« J’ai lu un peu sur les donjons… »

« Ah. Les trois épéistes et le donjon, c’est ça ? Explorer un donjon légendaire comme celui-là est une façon sûre d’inscrire ton nom dans les livres d’histoire. N’as-tu jamais pensé à essayer toi-même ? »

Les trois épéistes et le donjon était l’histoire de trois jeunes combattants brillants qui allaient être connus comme le Dieu de l’Épée, le Dieu d’Eau et le Dieu du Nord. Le livre avait commencé par leur rencontre initiale et les avait suivis à travers une série de rebondissements qui les avaient amenés à défier un énorme donjon ensemble. Il y avait eu beaucoup de conflits, de rires et de liens entre ces hommes tout au long du chemin, ainsi que quelques adieux douloureux. À la fin, naturellement, ils avaient atteint leur but avec succès.

Le donjon de ce livre ne possédait qu’une centaine d’étages, mais c’était déjà assez dangereux.

« N’est-ce pas juste une histoire ? »

« Non, non. On dit que les trois grands styles que l’on nous avait transmis de génération en génération sont nés dans ce labyrinthe. »

« Hmm, vraiment ? Mais ces types étaient devenus des épéistes de classe Divin, et ils avaient eu toutes sortes de problèmes… Je ne pense pas que je tiendrais cinq minutes dans cet endroit. »

« Hé, j’avais l’habitude d’explorer des donjons tout le temps, OK ? Tu t’en sortiras très bien. »

Paul me raconta l’histoire d’un jeune Oni qui avait fait équipe avec un groupe de guerriers humains pour entrer dans un donjon rempli de poissons, et de leur victoire éventuelle au prix de plusieurs camarades.

Avant que j’aie eu le temps de m’en occuper, il avait raconté l’histoire d’un magicien incompétent qui était tombé accidentellement dans un donjon, s’était joint à un groupe qui avait perdu son propre magicien, et avait découvert ses talents latents dans le feu de l’action.

C’était comme si Paul avait répété cette conversation à l’avance.

Maintenant que j’y pensais… il voulait que je sois un épéiste, n’est-ce pas ? Je supposais que son plan était de me raconter des histoires d’aventure et de me remplir la tête de rêves de labyrinthes et de batailles dramatiques.

Je ne dirais pas que je n’étais pas désintéressé, surtout quand il s’agissait des donjons eux-mêmes. Mais dans l’ensemble, ça semblait beaucoup trop dangereux.

Les personnes dans ce livre avaient tendance à rencontrer leurs fins assez brusquement. Les trois épéistes n’étaient pas les seuls personnages, bien sûr, mais ils étaient les seuls à avoir survécu à leur expédition.

Un de leurs alliés s’était fait carboniser au milieu d’une conversation par une boule de feu qui était sortie de nulle part. Un autre était tombé à travers un trou dans le sol et s’était écrasé. Oh, et puis il y avait eu ce type qui s’était fait couper en deux au moment où il avait sorti la tête de sa couverture. Même des guerriers assez puissants pour abattre facilement des monstres redoutables avaient été massacrés par des pièges dès qu’ils étaient devenus un peu négligents.

En tant que protagonistes, nos trois héros avaient surmonté tous ces obstacles en restant indemnes, mais je doutais qu’un maladroit comme moi puisse y arriver. Après tout, j’étais du genre inconscient.

« Qu’en penses-tu ? L’aventure peut vraiment être amusante, n’est-ce pas ? »

« Allez, tu n’es pas sérieux. »

Pourquoi me mettrais-je délibérément dans des situations très risquées juste pour avoir un frisson ? Une vie détendue et pleine de femmes — tout comme celle de Paul — semblait beaucoup plus attirante.

« Je pense que je suis plus enclin à passer ma vie à courir après les jupes. »

« Oho. Je suppose que tu es vraiment mon fils ! »

« Idéalement, j’aimerais me construire un petit harem, comme mon cher vieux père. »

« Sans blague ? Tu ferais mieux de courir après une jupe à la fois, pour l’instant. »

Paul pointa du doigt quelque chose derrière moi en souriant. Je m’étais retourné pour me retrouver face à face avec une Sylphie très boudeuse.

Parfait timing, crétin.

***

Partie 3

Je passais beaucoup de temps dans ma chambre avec Sylphie ces derniers temps, à lui expliquer les bases des mathématiques et des sciences. C’était le moyen le plus rapide de l’aider à comprendre comment les incantations silencieuses fonctionnaient vraiment dans les détails.

Malheureusement, j’avais quitté l’école après le collège dans ma vie antérieure. Alors que techniquement, j’étais entré dans un lycée pour crétins, j’avais abandonné presque aussitôt.

Par conséquent, il y avait une réelle limite à ce que je pouvais lui apprendre. L’apprentissage des livres n’était pas tout, bien sûr… mais je commençais à m’en vouloir de ne pas avoir pris mes études un peu plus au sérieux.

Sylphie maîtrisait déjà les bases de la lecture et de l’écriture et pouvait faire des multiplications de nombres à deux chiffres. La table de multiplication avait été assez dure à assimiler, mais elle n’était clairement pas stupide. Elle apprendra aussi probablement la division bien assez tôt.

Je lui enseignais aussi quelques sciences fondamentales, en parallèle avec la magie.

« Pourquoi l’eau se transforme-t-elle en vapeur quand on la chauffe ? »

« L’eau se dissout naturellement dans l’air, mais il faut de la chaleur pour cela. Donc, plus il fait chaud, plus elle se dissout facilement. »

Aujourd’hui, nous couvrions le cycle de l’évaporation, de la condensation et des précipitations.

« … ? »

D’après le visage de Sylphie, il était clair qu’elle ne comprenait pas vraiment ce que je disais. Pourtant, elle avait prouvé qu’elle apprenait vite en général. Probablement parce qu’elle avait toujours fait attention et faisait de son mieux.

« En gros, tout fond si tu le chauffes suffisamment, d’accord ? Et si tu le refroidis suffisamment, cela redevient solide. »

Je n’étais pas prof, alors c’était le mieux que j’ai pu faire.

De toute façon, Sylphie était plus intelligente que moi. Elle essayera probablement quelques trucs elle-même jusqu’à ce que tout ceci ait du sens pour elle. Grâce à la magie, vous n’aviez pas vraiment besoin d’outils pour expérimenter ce genre de choses.

« Tout peut fondre ? Même des trucs comme des cailloux ? »

« Oui. Mais il te faudra une chaleur intense. »

« Tu peux en faire fondre un, Rudy ? »

« Bien sûr. »

Même si je n’avais pas forcément essayé avant.

Pourtant, quand je m’étais vraiment concentré, je pouvais maintenant distinguer grossièrement les différents éléments de l’air qui m’entouraient. Je pourrais probablement juste pomper de l’oxygène et de l’hydrogène dans une roche jusqu’à ce qu’elle fonde.

D’ailleurs, il y avait aussi un sort appelé Jaillissement de Magma qui vous permettait de créer une explosion spontanée de lave. J’avais l’impression que c’était une magie combinée de la terre et du feu, mais c’était un sort de feu de niveau avancé.

Ils aimaient bien diviser les choses entre leurs différentes disciplines, mais tout était interrelié. Et injecter plus de puissance magique brute dans vos sorts n’était pas le seul moyen de les rendre plus puissant. En manipulant des gaz combustibles, par exemple, vous pourriez produire une chaleur intense plus efficacement.

J’avais déjà tout compris de ça. Mais pas grand-chose d’autre.

Mon talent de magicien ne s’était pas vraiment amélioré depuis le départ de Roxy. J’avais juste trouvé des moyens de combiner mes sorts actuels, de les utiliser plus efficacement et d’augmenter leur puissance avec quelques ajustements scientifiques mineurs.

Au premier coup d’œil, j’avais probablement l’impression de devenir plus fort… mais j’avais plutôt l’impression d’être dans une impasse. Étant donné mon niveau actuel de connaissances, je n’arriverai peut-être jamais à faire quelque chose de plus stimulant que ce que je pourrais faire maintenant.

Dans mon ancienne vie, il était assez facile de trouver de l’information sur Internet quand j’en avais besoin, mais il n’y avait rien de si pratique dans ce monde.

Peut-être que j’avais vraiment besoin de quelqu’un pour m’apprendre…

« Hmm. L’école, hein… ? »

Roxy avait mentionné que les écoles de magiciens avaient tendance à avoir des règles et des normes très strictes, mais je pourrais peut-être trouver un moyen d’y entrer.

« Tu vas aller dans une école, Rudy ? »

Apparemment, j’avais pensé à voix haute. Sylphie se retourna pour me regarder, une expression d’anxiété sur son visage.

Ce mouvement avait laissé ses cheveux vert émeraude se balancer légèrement. Elle les avait fait pousser un peu ces derniers temps… probablement parce que je n’arrêtais pas de lui faire des suggestions occasionnelles, une fois par mois environ. Pour l’instant, il ne s’agissait que d’un petit bob, mais c’était plutôt agréable de voir ses petites boucles désordonnées réagir à chaque mouvement de sa tête.

Dans un rien de temps, ils seront dans un état où elle sera capable de faire une queue de cheval.

« Non, je ne prévois pas ça. Père dit que je serais victime de brimades si impitoyables que je n’apprendrais rien. »

« Mais tu agis encore une fois étrangement… »

Attends, sérieusement ?

C’était nouveau pour moi. Avais-je encore foiré ? J’essayais si fort de garder mon rôle d’enfant totalement inconscient quand elle était présente…

« Selon mes parents, je suis étrange depuis que je suis bébé. »

J’essayais de repousser le problème avec cette petite blague, mais Sylphie fronça les sourcils et secoua la tête.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu sembles un peu triste ces derniers temps. »

Oh. Phew.

J’avais peur de la contrarier à nouveau, mais apparemment, elle était juste inquiète pour moi.

« Eh bien, je n’ai pas fait beaucoup de progrès ces derniers temps, tu sais ? Je ne me suis pas amélioré avec la magie ou l’épée. »

« Mais tu es déjà incroyable, Rudy… »

« Pour mon âge, peut-être. »

C’était vrai, il n’y avait probablement pas beaucoup d’enfants dans ce monde à mon niveau. Cela dit, je n’avais pas encore accompli grand-chose.

Ma « maîtrise » de la magie était venue en partie de mes souvenirs de ma vie antérieure, et en partie de ma percée initiale avec le lancement d’incantations silencieuses. Ces deux facteurs m’avaient donné un avantage sur la plupart des gens. Mais maintenant que j’avais heurté ce mur, je n’arrivais plus à le franchir. Le fait que je me souvienne de mes trente-quatre années pour la plupart perdues ne m’avait pas été d’une grande aide.

Il était facile de me maudire de ne pas avoir étudié quand j’en avais l’occasion, mais ce qui était fait était fait. Et bien sûr, mes agissements dans mon ancien monde ne s’appliqueraient pas nécessairement à celui-ci de toute façon. Cet endroit avait ses propres règles que je devais découvrir.

Je ne pouvais pas m’appuyer sur mes vieux souvenirs pour toujours.

La magie était la loi fondamentale de ce monde. Et pour la comprendre, j’avais besoin de comprendre ce monde.

« J’ai quand même l’impression qu’il est temps que je fasse un pas en avant. »

Sylphie s’améliorait constamment en magie et devenait de plus en plus intelligente de jour en jour. Je commençais à me sentir un peu pathétique en la voyant progresser. Je ne faisais que du surplace en comparaison.

Pour l’instant, je pourrais encore me considérer comme le protagoniste inconscient de cette histoire. Mais à moins que je ne me mette au travail, cette fille allait me laisser dans le rétroviseur un jour.

Son froncement de sourcils ne faisait que s’accentuer, Sylphie me pressait encore plus.

« Tu vas aller quelque part ? »

« Eh bien, peut-être. Père a dit que je devrais essayer d’explorer les donjons, et il n’y a pas grand-chose que je puisse faire dans ce village… Je suppose que je finirai probablement par aller dans une école ou devenir aventurier. », lui avais-je répondu.

J’avais parlé avec désinvolture, sans trop y penser. Mais pour une raison quelconque…

« N, non ! »

Sylphie avait crié tout en jetant ses bras autour de moi.

Oho. Qu’est-ce que c’est, hmm ? Est-ce l’heure d’une scène de confession !?

Mais alors même que la pensée me traversait l’esprit, je m’étais rendu compte qu’elle tremblait.

« Euh… Mlle Sylphiette ? »

« Non… Non… Non ! »

La fille me serrait tellement fort qu’elle avait du mal à respirer. Je ne savais pas trop comment répondre, j’étais resté silencieux un moment.

« Ne… Ne pars pas, Rudy ! Hic… Waaaaah ! »

Apparemment, en interprétant cela de façon négative, Sylphie éclata en sanglots. Ses petites épaules frémissaient, elle s’était mise à enterrer son visage contre ma poitrine.

Hein ? Sérieusement ? Qu’est-ce qui se passe ici ?

Pour l’instant, la fille avait clairement besoin d’être réconfortée, alors je lui avais caressé la tête et lui avais frotté le dos. J’avais enroulé mes bras autour de Sylphie.

Quand j’avais enterré mon visage dans ses cheveux, j’avais découvert que ça sentait très bon.

Puis-je juste… la garder ? S’il te plaît ?

« Hic… S’il te plaît, Rudy… Ne pars pas… »

Oups. Reprends-toi, imbécile.

« O-okay… »

Tout ceci avait réellement du sens.

Depuis un certain temps déjà, Sylphie venait chez nous à la première heure du matin presque tous les jours. Elle me regardait avec plaisir pratiquer mon art de l’épée, après quoi nous étions passés à la magie et à ses études.

Si je partais soudainement, toute la routine quotidienne de Sylphie disparaîtrait, et elle redeviendrait solitaire. Elle pourrait maintenant repousser les brutes avec sa magie, mais ce n’était pas comme si elle se ferait d’autres amis.

Plus j’y pensais, plus je ressentais de l’affection pour elle. J’étais le seul pour qui Sylphie avait de l’affection. Elle était à moi, et à moi seul.

« J’ai compris le message, d’accord ? Je n’irai nulle part. »

Comment avais-je pu penser à mettre de côté une gentille petite fille comme ça afin de m’enfuir quelque part ? Pour faire quoi ? Améliorer ma magie ?

Au diable tout ça. Je pouvais déjà lancer des sorts de niveau Avancé et de niveau Saint. C’était bien suffisant pour gagner sa vie en tant que tuteur, comme Roxy l’avait fait. Alors pourquoi ne pouvais-je pas rester ici avec Sylphie jusqu’à ce que l’on soit assez vieux pour se débrouiller seuls ?

Ça m’avait l’air plutôt bien.

On grandirait ensemble… et elle deviendrait ma femme parfaite.

Merde ! Non. Non. Ce sont de mauvaises pensées. De mauvaises pensées. Qu’est-il arrivé à toute cette histoire d’« inconscience », mon pote ? Tu prends trop d’avance sur toi-même. Cela dit… il n’y a rien dans le règlement qui dit qu’un protagoniste inconscient ne peut pas construire une romance avec son amie d’enfance, non ?

Gah ! A quoi je pense !?

La fille n’avait que six ans. Elle m’aimait beaucoup, mais elle n’était pas encore capable de ressentir de l’amour romantique.

Donc, euh… ouais. Mettons tout ça en attente.

Et si on finissait par s’éloigner ? Son compteur d’affection était au maximum pour le moment, mais rien ne garantissait que cela resterait pour toujours. Pourrais-je me regarder en face si celui-ci tombait à zéro ?

Non. Bon sang, non ! Sérieusement, elle est si douce, chaude et tendre ! Et elle sent tellement bon !

Elle me dévoile son âme en ce moment, et je suis censé rester assis là, la mâchoire relâchée !? C’est vraiment n’importe quoi ! On sait tous les deux ce qu’on ressent, alors on devrait se l’avouer ! Pourquoi me forcer à perdre un temps précieux ? Pourquoi ne pas admettre que j’ai fait le mauvais choix !?

C’est tout ce qu’il y a à faire. J’ai décidé !

Je… Je ne suis plus inconscient, Sylphieeee !

« Hé, Rudy… une lettre pour toi. »

C’est alors que Paul fit irruption dans la pièce et me sortit de mon petit monde - et ce n’était pas trop tôt. Surpris, je m’étais éloigné de Sylphie.

Mon cher père méritait probablement un peu de gratitude ce coup-là. J’étais à deux minutes de faire une confession pathétique.

Pourtant, l’endurance d’un homme avait ses limites. J’avais réussi à résister à cette tempête, mais on ne savait pas ce qui allait se passer la prochaine fois.

◇ ◇ ◇

Voici la lettre que j’avais reçue ce jour-là, elle venait de Roxy.

Cher Rudeus,

Comment vas-tu ?

C’est difficile à croire, mais je suppose que deux ans se sont écoulés depuis notre séparation.

Les choses se sont finalement un peu arrangées de mon côté, alors j’ai décidé de saisir l’occasion pour t’écrire.

En ce moment, je séjourne dans la capitale royale du Royaume de Shirone. En explorant divers donjons, j’ai l’impression de m’être fait un nom, alors j’ai fini par être engagé pour donner des cours particuliers à un certain prince.

L’enseignement me rappelle le temps que j’ai passé chez les Greyrat. D’abord, le prince est en fait un peu comme le jeune homme que j’y ai formé. Bien qu’il ne soit pas aussi talentueux que toi, c’est un garçon à l’esprit vif et un jeune magicien en herbe à part entière. Malheureusement, il a aussi tendance à me voler mes sous-vêtements et à me regarder quand je me change, tout comme quelqu’un d’autre que je ne nommerai pas. Sa personnalité est un peu pompeuse et il est beaucoup plus énergique, mais dans l’ensemble, vos comportements sont assez semblables. Peut-être que les hommes ambitieux sont tous des animaux fous de sexe dans l’âme ?

Hmm. Peut-être que je ne devrais pas écrire ça. Si quelqu’un le lisait, il me jetterait dans le donjon pour avoir souillé l’honneur de la famille royale.

Je n’aurai qu’à traverser ce pont quand j’y arriverai. Ce n’est pas comme si j’écrivais de mauvaises choses dans leur dos, vraiment.

Quoi qu’il en soit, il semblerait que la cour royale envisagerait de me nommer « magicienne royale » durant la durée de mon séjour. Il y a encore beaucoup de recherches magiques que j’ai hâte de poursuivre, alors ça devrait très bien marcher.

Oh, ça me rappelle que j’ai enfin réussi à m’habituer à lancer des sorts d’eau de niveau Royal. Il se trouve que la bibliothèque royale avait des livres utiles sur le sujet.

Quand j’ai commencé à maîtriser la magie de niveau Saint, je pensais que c’était le mieux que je pouvais faire, mais il me semblerait qu’avec un peu d’effort j’ai pu aller beaucoup plus loin.

Je ne serais pas surprise si tu me dis que tu es déjà en train de lancer des sorts d’eau de niveau Impérial, Rudeus. Ou peut-être as-tu élargi tes horizons et atteint le niveau Saint dans une autre discipline ? Je sais combien ta soif de connaissance est grande, alors je pourrais certainement te voir t’adonner à la Guérison ou à l’Invocation également.

Mais tu as peut-être choisi de te concentrer sur ton art de l’épée. Je serais un peu déçue, pour être honnête, mais je suis sûre que tu feras de toute façon ton chemin dans ce monde. Personnellement, j’ai l’intention de devenir une magicien d’eau de niveau Divin.

Comme je l’ai déjà mentionné… si jamais tu te retrouves dans une impasse dans tes études de magie, vas te faire admettre à l’Université de Magie de Ranoa. Sans lettre de recommandation, tu devras passer un examen d’entrée. Mais je ne pense pas que cela devrait te poser le moindre problème.

Eh bien, jusqu’à notre prochaine rencontre.

Roxy

P.S. Il est fort possible que je ne sois plus à la cour royale avant que ta réponse ne me parvienne, alors ne te sens pas obligé de répondre.

Eh bien, bon sang. Tu parles d’un réveil.

Il m’avait fallu un moment pour trouver le royaume de Shirone sur la carte. C’était un petit pays dans la partie sud-est du continent central.

Il n’était pas si loin d’ici à vol d’oiseau, mais la chaîne de montagnes entre les deux pays était infestée de dragons rouges, la rendant totalement infranchissable. Il faudrait prendre le chemin le plus long et l’approcher par le sud.

À toutes fins utiles, Shirone était une terre lointaine.

Quant à Ranoa, où se trouvait cette université de magie… il faudrait faire une grande boucle vers le nord-ouest pour y arriver.

« Hmm… »

Au moins maintenant, je savais pourquoi Roxy ne m’avait jamais rien dit sur la magie au-dessus du niveau Royal. Elle ne connaissait pas de meilleurs sorts à l’époque.

J’avais décidé d’écrire une réponse brève et vague à sa lettre. Pas besoin d’expliquer la triste vérité sur ma situation actuelle. La fille semblait avoir une image mentale de moi, celle d’une sorte de génie, et je ne voulais pas la décevoir.

Bref… l’Université de Magie de Ranoa, hein ?

Roxy avait toujours dit que c’était un endroit génial. Mais ce n’était pas vraiment proche de chez moi, et je ne pouvais pas abandonner Sylphie ici.

Que faire ?

Pour l’instant, j’avais terminé ma lettre, j’avais fait une pause, puis j’avais ajouté une brève note.

P.S. Désolé d’avoir volé ta culotte.

***

Partie 4

Le lendemain, j’avais attendu que toute ma famille soit réunie à table pour agir.

« Père, puis-je faire une demande égoïste ? »

« Bien sûr que non. »

Uniquement pour me faire abattre instantanément.

Heureusement, la réponse de Paul lui avait valu un bon coup de poing à la tête de la part de Zenith, qui était assise à ses côtés. Et une autre attaque de Lilia, qui était assise de l’autre côté.

Depuis tout ce désordre avec la grossesse inattendue, Lilia s’était jointe à nous à table au lieu de nous attendre comme une servante. On aurait dit qu’elle faisait maintenant officiellement partie de la famille.

La polygamie… était-elle une chose acceptée dans ce pays ?

Ah, eh bien. Ce n’est pas mon problème !

« Dis à ton père ce que tu veux, Rudy. Il fera en sorte que cela se produise », avait dit Zenith, avec un regard éblouissant sur son mari, qui se tenait la tête dans les mains en ce moment.

« Le jeune maître n’a jamais demandé grand-chose. C’est une occasion en or de faire preuve d’une certaine dignité paternelle, Maître Paul », avait ajouté Lilia en guise de soutien.

Après s’être réinstallé dans son siège, Paul croisa les bras et sortit impérieusement le menton.

« Écoutez, ce gamin veut quelque chose de tellement fou vu qu’il a demandé la permission juste pour en parler. Quoi que ce soit, c’est probablement impossible. »

Ce commentaire lui avait valu deux autres coups de poing qui le renvoyèrent sur la table. C’était notre routine familiale habituelle.

Très bien, allons droit au but.

« Le truc, c’est que j’ai récemment atteint une impasse dans mes études de magie. Et pour cette raison, j’espérais aller à l’Université de Magie de Ranoa… »

« Oh ? »

« Mais quand j’en ai parlé à Sylphie, elle s’était effondrée en larmes et m’avait supplié de ne pas la quitter. »

« Hah, quel petit tueur de dames ! Je me demande de qui tu tiens ça ? »

Deux autres coups avaient naturellement suivi ce commentaire.

« La solution idéale serait que nous partions tous les deux ensemble, mais vu que la famille de Sylphie n’est pas aussi aisée que la nôtre. Je voulais vous demander si vous accepteriez de payer pour qu’on y assiste tous les deux. »

« Qu’as-tu dit ? »

Appuyant ses coudes sur la table, Paul m’avait lancé un regard aiguisé qui me faisait penser à un certain commandant à lunettes. Ses yeux étaient d’un sérieux mortel, comme ils l’étaient quand il prenait une épée.

« Eh bien, la réponse est non. »

Encore une fois, il m’avait abattu. Mais cette fois, ce n’était pas qu’une blague, et Zenith et Lilia restèrent silencieuses.

« J’ai trois raisons. D’abord, tu es encore en plein entraînement avec l’épée. Si tu abandonnes maintenant, tu resteras un amateur permanent sans espoir d’amélioration. En tant que professeur, je ne peux pas permettre ça. Deuxièmement, l’argent est un problème. On pourrait s’occuper de tes frais de scolarité, mais pas de ceux de Sylphie. Les écoles de magie ne sont pas bon marché, et ce n’est pas comme si nous avions nous-mêmes un arbre dans lequel pousse de l’argent. Troisièmement, tu n’as que sept ans. Tu es un enfant intelligent, mais il y a encore beaucoup de choses que tu ne sais pas, et tu manques sérieusement d’expérience dans le monde réel. Ce serait irresponsable de ma part de te laisser partir maintenant. »

Le refus de Paul ne m’avait pas surpris du tout.

Mais je n’allais pas abandonner. Contrairement à ce qui se passait auparavant, il fondait son refus sur trois objections rationnelles et bien définies. Cela signifiait que si j’abordais ces points, je pourrais obtenir sa permission.

Il n’y avait pas besoin de se précipiter. Je ne m’attendais pas à ce que ça arrive demain, de toute façon.

« Je comprends, mon père. Je vais continuer à m’entraîner à l’épée, bien sûr… mais puis-je te demander quel âge je devrais avoir avant que cela ne se produise ? »

« Voyons voir… Quinze ans ? Non, disons douze ans. Reste dans les parages jusqu’à cet âge-là. »

Douze ? Hmm. Quinze ans, c’est à cet âge que les enfants atteignent l’âge adulte dans ce pays, d’après mes souvenirs.

« Puis-je te demander pourquoi tu as opté pour douze ans ? »

« C’est l’âge que j’avais quand j’ai quitté la maison. »

« Ah. D’accord. »

Paul ne semblait pas prêt à faire de compromis là-dessus. Inutile d’argumenter à ce sujet et de lever les yeux.

« Alors, une dernière chose. »

« Bien sûr. »

« Peux-tu m’aider à trouver un emploi ? Je sais lire, écrire et je sais faire des calculs. Je pourrais faire un bon tuteur. Ça ne me dérangerait pas non plus de travailler comme magicien. Je prendrais ce qui paie le mieux. »

« Tu veux un travail ? Pourquoi ? », demanda Paul tout en rétrécissant ses yeux.

« Je veux payer les frais de scolarité de Sylphie. »

« Je ne pense pas que ce soit dans son intérêt que tu fasses ça. »

« Peut-être que non. Mais je pense que c’est dans mon intérêt. »

La pièce était restée complètement silencieuse pendant un long moment. J’avais dû combattre l’envie de me tortiller maladroitement sur mon siège.

« Je vois. Alors, c’est comme ça, hein ? »

À la fin, Paul acquiesça de la tête, apparemment convaincu de… quelque chose.

« D’accord, très bien. Dans ce cas, je vais vérifier quelques trucs pour toi. »

Tandis que les visages de Zenith et de Lilia exprimaient maintenant ouvertement leur inquiétude, le regard de Paul me disait que je pouvais le croire sur parole.

« Merci beaucoup », dis-je en baissant la tête en signe de gratitude alors que ma famille reprenait son repas.

◇ ◇ ◇

Point de vue de Paul

Je ne peux pas dire que je m’y attendais.

Je savais que mon fils grandissait rapidement, mais la plupart des enfants ne commençaient pas à parler comme ça avant l’âge de 14 ou 15 ans au plus tôt. Même moi, je n’avais atteint cette étape qu’à l’âge de onze ans, lorsque j’avais atteint le niveau Avancé dans le style du Dieu de l’Épée. Et certaines personnes n’y arrivaient jamais.

C’était quoi déjà ?

« Ne te précipite pas trop dans ta vie, ou elle finira avant que tu t’en rendes compte. »

Un certain guerrier me l’avait dit il y a longtemps. Je venais de rouler des yeux en réponse. D’après moi, tout le monde prenait son temps. Tout être humain disposait d’une période limitée dans laquelle il pouvait réellement accomplir des choses, mais personne ne semblait ressentir le moindre sentiment d’urgence.

Je voulais faire tout ce que je pouvais tant que j’en avais l’occasion. Et si quelqu’un voulait me critiquer après coup, eh bien, je traverserais ce pont quand j’y serais arrivé.

Bien sûr, grâce au fait que j’avais pu « faire » tout ce que j’avais pu, je m’étais retrouvé avec une femme enceinte sur les bras. J’avais fini par quitter l’aventure et m’appuyer sur les relations de mes proches de haut statut pour me trouver un emploi stable en tant que chevalier.

Oublions cette partie pour l’instant. Le fait était que Rudeus prenait les choses beaucoup plus à cœur que moi. Le gamin avançait si vite que ça me rendait un peu nerveux de le voir partir.

J’étais sûr que les adultes autour de moi avaient les mêmes pensées quand j’étais jeune. Mais il y avait une différence majeure : en fait, Rudeus planifiait les choses au lieu d’agiter les choses au hasard comme je le faisais auparavant. Je devais supposer qu’il tenait cet aspect de sa personnalité de Zenith.

Mais je pense que je dois le garder encore un peu plus longtemps.

C’était dans cet esprit que j’avais commencé à écrire une lettre.

Tout comme Laws me l’avait dit l’autre jour, Sylphie s’était clairement attachée à Rudeus. De son point de vue, il était à la fois le chevalier en armure brillante qui l’avait sauvée de la misère de sa petite enfance et le grand frère omniscient qui pouvait répondre à toutes ses questions.

Elle l’admirait, c’était évident. Récemment, elle semblait avoir aussi le béguin pour lui.

Laws, pour sa part, m’avait dit qu’il espérait qu’ils finiraient par se marier un jour. À l’époque, j’étais très heureux à l’idée d’ajouter une fille aussi mignonne à la famille… mais après avoir entendu ce que Rudeus avait dit aujourd’hui, j’avais dû y repenser.

Pour l’instant, la fille était essentiellement du mastic entre ses mains. Si ces deux-là continuaient à grandir ensemble comme ça, Sylphie allait être sous l’emprise permanente de Rudeus, même à l’âge adulte. J’avais déjà vu des cas comme ça quand j’étais encore « noble ». J’avais vu des êtres humains, qui n’étaient guère plus que des marionnettes, totalement contrôlées par leurs parents.

Je supposais que cette vie n’était pas si mauvaise tant que le gars qui tirait les ficelles était toujours là. Tant que Rudeus aimera toujours Sylphie, elle ira probablement bien. Mais malheureusement, le gamin avait aussi un peu de moi en lui. En d’autres termes, c’était un coureur de jupons né. Il y avait une chance qu’il parte en courant après toutes les autres filles qui avaient attiré son attention.

Une chance ? Nah. Le garçon était mon fils. Il allait vraiment déconner. Et quand beaucoup de temps se sera écoulé, il pourrait ne pas finir par choisir Sylphie.

Elle ne se remettra jamais de ce coup. Jamais.

Mon fils pourrait bien finir par ruiner la vie de cette gentille petite fille. Je ne pouvais pas permettre que ça arrive. Il était certain que ce ne sera pas dans son intérêt non plus.

J’avais donc écrit ma lettre. J’espérais avoir la réponse que je cherchais.

Cela dit… comment pourrais-je convaincre ce gamin qui parlait aussi bien d’accepter ça ?

Hmm. Peut-être que cela nécessite une approche un peu plus brutale.

***

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